La présente saison de Toulouse Guitare, présentée avec ferveur par Thibaut Garcia, se poursuit dans l’originalité de ses propositions musicales. Le jeudi 1er décembre à 20 h à l’auditorium St Pierre des Cuisines, son deuxième concert a réuni le guitariste Pablo Márquez et la violoncelliste Anja Lechner qui ont consacré l’essentiel de leur programme à Franz Schubert.
Associer le violoncelle à la guitare constitue une idée originale que le programme présenté lors de cette soirée justifie pleinement. Ce duo maintenant bien établi trouve son épanouissement dans un répertoire a priori inattendu mais d’une remarquable intensité expressive.
Néanmoins, suivant en cela la tradition maintenant bien établie de découverte de jeunes talents, la première partie de cette soirée du 1er décembre accueille la jeune guitariste Liewellyn Barré qui est actuellement en deuxième année du Cycle Préparatoire à l’Enseignement Supérieur (CPES). Elle apparaît sur la scène de l’auditorium en compagnie d’un adorable chien noir et blanc, apparemment mélomane, qui se couche sagement à ses pieds et semble la suivre et l’écouter religieusement.
La jeune élève offre une série de pièces dans laquelle domine une tendre nostalgie. C’est le cas de La Gatica, d’Antonio Lauro, mais également celui de la Sonate K 335 de Domenico Scarlatti, alors qu’une certaine légèreté parcourt la K 208 du même compositeur. Une profonde méditation émane du 3ème mouvement de la Suite en la mineur, de Manuel Ponce. La musicienne réserve enfin une autre surprise au public de l’auditorium. Elle est rejointe par sa sœur qui joue de l’alto. Les deux jeunes complices offrent, pour conclure cette première partie, un véritable « tube » du tango argentin : Volver du grand Carlos Gardel. Nostalgie, nostalgie…
Violoncelle et guitare viennent ensuite se lover dans le nouveau dispositif acoustique qui équipe avec efficacité le plateau de l’auditorium. La violoncelliste allemande Anja Lechner, qui a été élève de Heinrich Schiff et a également étudié avec János Starker, s’associe depuis une quinzaine d’années avec le guitariste argentin Pablo Márquez, lauréat du concours Villa-Lobos de Rio de Janeiro et de celui de Radio France à Paris. Cet admirable duo déploie une combinaison sonore d’une irrésistible séduction que renforce le parfait équilibre entre les deux instruments, entre les deux musiciens. De subtiles transcriptions de lieder de Schubert constituent l’essentiel du programme. Ainsi que l’indique Pablo Márquez, certaines de ces versions pour guitare étaient d’ailleurs pratiquées du temps de Schubert. Le violoncelle remplit ici parfaitement la fonction « vocale ». Sous les doigts nuancés d’Anja Lechner, il « chante » avec un lyrisme sensible et intense.
Après un Nocturne (n° 1 en la mineur) de Friedrich Burgmüller, l’essentiel du concert investit le riche monde de la nuit qui hante la vaste production de lieder de son contemporain Franz Schubert. Nacht und Traüme (Nuit et rêves) ouvre ce voyage introspectif qui se poursuit avec Nacht (Nuit), Fischerweise (A la manière du pêcheur) et autres Meeres Stille (Calme de la mer). L’émotion la plus profonde émane du dernier des lieder du Winterreise (Le Voyage d’hiver) : Der Leiermann (Le Joueur de vielle à roue). Violoncelle et guitare font vivre un dialogue désespéré à travers un jeu d’une extrême sensibilité.
La seconde partie de ce voyage est consacrée à la fameuse Sonate Arpeggione, conçue par Schubert pour un instrument aujourd’hui disparu. Baptisé également « guitare-violoncelle », ou « guitare à archet », ou encore « guitare d’amour », cet instrument à six cordes, variante de la viole de gambe baroque, trouve à l’évidence dans ce duo de musiciens un successeur proche de l’idéal. D’autant plus que les deux interprètes font assaut de finesse et d’élégance. Tout au long des trois mouvements, le violoncelle chante comme une voix humaine et la guitare, en particulier dans le poignant Adagio, semble recueillir ici ses confidences.
Ce grand moment de musique suscite un accueil si enthousiaste de la part du public que les interprètes offrent en bis une pièce d’un autre monde : celui de la latinité. Avec la chanson Milonga de dos Hermanos, de l’Argentin Carlos Guastavino, sur un poème de Jorge Luis Borges, s’achève cette soirée pleine d’émotion.
Serge Chauzy