Ce 24 septembre, l’Orchestre national du Capitole retrouvait à sa tête le jeune chef invité Lio Kuokman, natif de Macao, qui avait fait à Toulouse des débuts remarqués de chef et de pianiste en octobre 2020. En compagnie de la violoncelliste russo-américaine Nina Kotova, Lio Kuokman dirigeait un programme plein de contrastes et de couleurs.
Rappelons que Lio Kuokman, parmi de nombreuses récompenses internationales, a remporté en 2014 le 2ème prix du prestigieux Concours International de chefs d’orchestre Evgeny Svetlanov de Paris. Pour sa troisième venue à la tête de l’Orchestre national du Capitole, Lio Kuokman choisit d’ouvrir son concert avec une œuvre récente d’une compositrice sud-coréenne, Unsuk Chin. Née en 1961, cette musicienne passionnée, installée à Berlin, impose un talent authentique pour le traitement de l’orchestre. La partition courte (à peine cinq minutes) qui ouvre cette soirée s’intitule « Subito con forza ». Elle a été composée en 2020 pour célébrer le 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven. Cet hommage fervent s’ouvre sur les deux accords célèbres de l’ouverture de Coriolan. Son écriture, d’une intense richesse orchestrale, intègre quelques citations, ou plutôt quelques allusions à des thèmes ou des rythmes typiquement beethovéniens. L’ouverture de la Cinquième symphonie est ainsi subtilement suggérée, plutôt que citée. L’orchestre et son chef invité confèrent à cette œuvre courte toute son intensité, toute sa passion.
Le contraste n’est pas mince avec l’arrivée sur scène de la violoncelliste Nina Kotova qui interprète les souriantes et légères Variations sur un thème rococo de Piotr Illich Tchaïkovski. Conçues comme une introduction suivie de sept variations sur un thème unique et une cadence, cette joyeuse partition exige néanmoins une virtuosité instrumentale redoutable. La soliste y déploie une belle sonorité qui parfois se laisse submerger par la richesse orchestrale de l’accompagnement. Son jeu reste assez sobre, rectiligne et comme retenu. Peut-être pourrait-on souhaiter de sa part une implication plus personnelle et un phrasé plus diversifié. Les mêmes caractéristiques se retrouvent dans le bis qu’elle offre au public. La Sarabande de la Suite n° 3 pour violoncelle de Johann Sebastian Bach reste bien sage et un peu uniforme.
Nouveau contraste avec l’air vivifiant des cimes qui balaie toute la seconde partie du concert. La grande pièce orchestrale de Richard Strauss Eine Alpensinfonie (Une Symphonie Alpestre), composée de 1911 à 1915, complète le programme. Strauss était un homme féru de montagne. Il acquit d’ailleurs en 1908 une villa à Garmisch dans les Alpes bavaroises où il vécut jusqu’à sa mort. Sa Symphonie alpestre reste très descriptive comme l’attestent les sous-titres des 22 différentes parties jouées sans interruption. On peut y entendre l’appel du cor des Alpes, les chants d’oiseaux, les flots tumultueux du torrent, les tintements des cloches d’un troupeau dans les pâturages et même l’explosion spectaculaire d’un violent orage.
De manière surprenante, Lio Kuokman dirige sans partition cette œuvre complexe et longue. Il anime avec passion le discours descriptif de ce récit panthéiste tout en assurant une grande précision de sa gestuelle. Et Dieu sait que de nombreux passages réclament une attention toute particulière de la part du chef. En particulier, les épisodes qui font intervenir les fanfares de coulisses. Une section importante des cuivres est d’ailleurs amenée à jouer depuis l’entrée de la salle.
A cet égard, la virtuosité exigée par l’écriture de Strauss s’avère admirablement assumée par les musiciens solistes dont on connaît les grandes qualités. En particulier, la partie de trompette solo, d’une incroyable difficulté du fait de l’ambitus, paraît presque facile lorsqu’elle est assurée par René-Gilles Rousselot. Le hautbois de Chi Yuen Cheng brille de mille feux ainsi que le cor nuancé et sonore de Jacques Deleplanque. Soulignons également l’apport des timbres si chaleureux de la section des tuben, ces tubas wagnériens joués par les cornistes du pupitre. L’ensemble des trombones et des tubas, ainsi que toute la section des bois (flûtes, clarinettes, bassons) rivalisent d’éclat et de finesse.
En compagnie des cordes chauffées à blanc, l’ensemble des vents anime les épisodes telluriques de la partition. De l’apothéose de « Auf dem Gipfel » (Au sommet), au déchaînement de « Gewitter und Sturm » (Orage et tempête), l’orchestre traduit avec détermination la trajectoire irrésistible de cette évocation sans limite. Le retour du calme de la nuit apaise enfin l’excitation de ces moments « électriques ».
L’acclamation que reçoit cette interprétation se poursuit longuement avec un enthousiasme qui traduit bien son impact sur le public. Si le chef ne cesse de féliciter chaque musicien, on observe que les musiciens eux-mêmes manifestent clairement leur satisfaction vis-à-vis de leur chef invité. Gageons que Lio Kuokman ne tardera pas à revenir sur les bords de la Garonne…
Un épisode final particulièrement touchant prolonge cette soirée. L’un des musiciens de l’orchestre a décidé de faire valoir ses droits à la retraite. Il vient donc de participer à son dernier concert parmi ses collègues. Il s’agit du violoniste et compositeur Mohamed Makni, bien connu des habitués des concerts de la Halle aux Grains. Lio Kuokman lui offre ces fleurs symboliques du lien affectif qui unit les musiciens. Lesquels ne se privent pas d’ovationner leur collègue visiblement ému.
Ainsi va la vie d’un orchestre. Un bien bel orchestre !