L’ouverture de la saison lyrique 25/26 de l’Opéra national du Capitole vient de se faire avec une reprise, très attendue, d’un joyau de l’opéra français signé Jules Massenet : Thaïs. En ce 26 septembre au soir, le vaisseau amiral de la culture toulousaine est plein à ras bord. Plus un strapontin de libre ! Les nombreux rappels au rideau final ainsi que la gigantesque ovation qui a accueilli les artisans de ce spectacle ont corroboré le formidable engouement du public toulousain pour l’opéra.
Stefano Poda, maitre d’œuvre inspiré
Dès les premières images que révèle le lever de rideau, la griffe « Poda » saute aux yeux. Cet artiste transalpin assure mise en scène, décors, costumes, lumières et chorégraphie. Ses productions sont d’une cohérence absolue. Christophe Ghristi l’invite ici pour la quatrième fois, après Ariane et Barbe-Bleue, Rusalka et Nabucco, trois spectacles qui, déjà, ont séduit le public. Cette Thaïs date de 2008. Elle est créée à Turin et commence à voyager sans pour autant passer les frontières de l’Hexagone. La voici enfin. Sur le plateau, outre le chœur et les solistes, vont se déployer 12 figurants et 16 danseurs. Ces vingt-huit artistes, exceptionnels faut-il souligner, ont la lourde tâche de figurer le dernier cercle de l’Enfer, celui qui hante les protagonistes au plus profond de leur âme. Entre tentation et luxure se glissent, dans un premier tableau formidable de portée symbolique, la compassion et l’amour de son prochain. Alors que les pêcheurs se blottissent dans les bras salvateurs des frères cénobites, exprimant sur leurs visage les affres du repentir, un Christ en Croix les observe…

Toute cette production est une immense prière. Les décors et la mise en scène soulignent par leur austérité l’importance des dialogues, car tout ici fait sens dans ces chemins de traverse où vont se croiser Thaïs et Athanaël. L’émotion nous submerge à maintes reprises et le final ne peut que nous bouleverser profondément. Et intimement. De plus, Stefano Poda a bien saisi le pouvoir cinématographique de cette partition, nous offrant en particulier un saisissant interlude illustrant, au dernier acte, l’arrivée d’Athanaël au couvent d’Albine, en fait une vraie course à l’abîme, d’une incroyable puissance visuelle. Ainsi pourrions-nous disserter de chaque instant. Mais l’essentiel est tout de même de se laisser emporter par le souffle mystique qui balaye cette production sans chercher forcément à en traduire la moindre seconde. Tout en actualisant la vision, parfois muséale, que l’on peut avoir de cette histoire, Stefano Poda est entré au cœur même de l’ouvrage.

Des prises de rôle qui font date
Rachel Willis-Sorensen faisait ses débuts dans le rôle de Thaïs. Si l’emploi n’est pas écrasant, il n’en demeure pas moins d’une intensité émotionnelle superlative. En ce soir de première, le timbre de cette cantatrice au parcours international impressionnant, nous semble, du moins au début, un rien métallique. Mais très vite de magnifiques sons filés vont orner sa ligne de chant, la prosodie se révèlera parfaite, la musicienne accomplie. A ses côtés, autre prise de rôle, celle d’Athanaël par Tassis Christoyannis. Ici encore la prosodie est totalement idiomatique et, ce n’est pas une injure vous en conviendrez, elle fait un écho sans faille à celle que déployait l’immense Robert Massard. Mais, chez le baryton grec, il y a évidemment un plus. Il EST le personnage de manière hallucinante. Tassis Christoyannis trace la trajectoire douloureuse d’Athanaël avec une justesse de ton bouleversante. Son baryton cuivré et généreux sait se plier autant aux imprécations dont il abreuve Alexandrie qu’à l’apitoiement qui le gagne devant Thaïs défaillante dans le désert. Un grand Athanaël nous est révélé.

Difficile d’exister face à ces deux rôles d’autant que Jules Massenet n’a pas fourni sa partition en seconds emplois conséquents. Si ce n’est celui de Nicias. Christophe Ghristi a convaincu Jean-François Borras de le tenir dans cette production. Evidemment ce ténor y fait merveille par un chant assuré sur l’ensemble de la tessiture, bravant la quinte aigüe avec vaillance. Pour anecdotiques que soient les autres personnages, le Directeur artistique du Capitole sait parfaitement que le moindre grain de sable peut faire déraper tout un spectacle. Voilà pourquoi il a réuni une poignée de chanteurs de grande qualité pour les interpréter. Il en est ainsi de Frédéric Caton (Palémon), Thaïs Raï-Westphal (Crobyle), Floriane Hassler (Myrtale), Marie-Eve Munger (la Charmeuse) et Svetlana Lifar (Albine). L’Orchestre national du Capitole, que nous avons connu sous d’autres jours…, très/trop « présent », quitte à couvrir les chanteurs dans certains registres, était dirigé par Hervé Niquet. Saluons enfin le Chœur du Capitole sous la direction de Gabriel Bourgoin, toujours au rendez-vous dans l’excellence de ces prestigieuses soirées.
Un spectacle dont nous attendons d’ores et déjà, on peut toujours rêver, une reprise !
Robert Pénavayre
Photos : Mirco Magliocca
Représentations : 28 et 30 septembre, 3 et 5 octobre 2025
Renseignements et réservations : www.opera.toulouse.fr