Le récital exceptionnel que vient de nous proposer Christophe Ghristi n’invitait rien moins que le plus grand soprano dramatique actuel, la Suédoise Nina Stemme, pour un programme d’une incroyable densité accompagné par le pianiste Magnus Svensson.
Que ce soit à New York, Milan, Vienne, Salzbourg, Londres ou Berlin, Nina Stemme est depuis une vingtaine d’années incontournable des grandes productions wagnériennes ou straussiennes. A l’entendre en ce dimanche après-midi, devant un Capitole confortablement garni, cela paraît l’évidence même. Pourquoi ?
Parce que, tout simplement, cette cantatrice porte haut le flambeau de ces voix qui ont fait au XXème siècle la gloire des compositeurs susnommés. Est-ce une insulte que d’écrire combien Nina Stemme nous rappelle l’immense et iconique Kirsten Flagstad (1895-1962) ? Je ne crois pas vraiment ! Nina Stemme chante sur une technique infaillible qui lui permet une dynamique fabuleuse, une musicalité stupéfiante, un legato superlatif, un contrôle du souffle et de l’appui sans faille. Et tout cela sans « muscler » l’émission. D’où la santé vocale de cette artiste qui enchaîne Brünnhilde, Elektra, Kundry, La Teinturière (La Femme sans ombre), Isolde et autre Turandot. Et qui, le temps d’un récital, sait se confier au public avec un art de diseuse éblouissant.
Pour preuve ce récital au Capitole du 5 mars 2023 au cours duquel, savamment et brillamment accompagnée par son compatriote, le pianiste Magnus Svensson, elle va nous faire découvrir le compositeur Sigurd von Koch (1879-1919). Ce Suédois, vers la fin de sa vie, en 1916, compose un cycle de cinq mélodies intitulé La Flûte mystérieuse, sur des poèmes chinois anciens traduits en allemand par Hans Bethge. Ces textes font la part belle à une Nature souveraine autant que salvatrice refuge de sentiments les plus intimes. Il est étonnant que, même dans son pays, ce compositeur ne soit pas très connu tant la fluidité de son écriture et la nostalgie prégnante qui l’entoure font écho avec un post romantisme des plus enivrants.
Auparavant, en solo, Magnus Svensson nous avait joué une paraphrase signée Franz Liszt sur l’air du 1er acte de Walter dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner. Virtuosité et savantes variations sont au rendez-vous de leitmotivs célèbres savamment revisités.
Ce cycle était entouré de deux monuments beaucoup plus familiers.
Le récital s’ouvrait avec une œuvre dans l’actualité toulousaine : les Wesendonck Lieder de Richard Wagner sur, cas unique dans le corpus de ce compositeur qui écrivait pour lui-même, des textes de Mathilde Wesendonck, l’épouse d’un mécène important du musicien. La relation intime entre Mathilde et Richard est entrée dans l’Histoire et nul ne songe aujourd’hui à la contester. La composition de ces cinq mélodies dura deux ans, peut-être bien pour le plaisir… Quoi qu’il en soit, il est facile d’entendre dans cette musique des mélodies qui seront développées plus tard lors de la composition de Tristan et Isolde (1865), laissant ainsi à l’avenir le soin de décrypter un message tout sauf subliminal. L’interprétation que nous en donne cette après-midi Nina Stemme est d’une douceur et d’une profondeur qui prennent à la gorge. Le timbre sombre conjugue ses couleurs automnales avec des demi-teintes sur le souffle qui creusent au plus profond les sentiments cachés des deux amants. La voix se fait musique. La fin du dernier lied, Rêves, s’achève comme le fera plus tard Isolde dans son dernier souffle. Sublime !
En seconde partie du récital, un autre monument, signé Gustav Mahler : les bouleversants Kindertotenlieder (Chants sur la mort des enfants). Cinq poèmes extraits d’un gigantesque recueil qui en compte 428, écrits par Friedrich Rückert à la suite de la mort de ses deux enfants, ont été choisis par le musicien qui publia en 1904 cette partition aussi douloureuse que métaphysique. Une partition qui envenima un temps les relations entre le compositeur et son épouse Alma, celle-ci reprochant à son époux de provoquer le destin. Malheureusement leur plus jeune fille devait décéder deux ans après. Dans cet environnement de douleur extrême, la pire qui puisse exister, Nina Stemme met au service de ce cycle les mêmes résonances hors du temps que le faisait Kirsten Flagstad, selon les enregistrements qui nous sont parvenus, que ce soit celui de 1949 ou celui de 1958. Ce qui n’est pas un mince compliment. Il faut une voix et un talent d’exception pour concentrer sur quelques notes un pareil sentiment d’innommables douleurs. Le silence qui envahit l’assistance fait écho à ces paroles qui se veulent consolatrices. L’émotion est à son comble. Le public finit tout de même par chavirer vers une formidable ovation empreinte de gratitude.
Ne souhaitant pas terminer sur une pareille note, Nina Stemme enchaîne, bis inclus (My Ship), avec des chansons de Kurt Weill, sur des textes de Bertolt Brecht, Roger Fernay et Ira Gershwin, dont le célébrissime Youkali.
Un récital qui fait d’ores et déjà date ! A l’image de celui que donna Kirsten Flagstad en ce même lieu en 1952.
Robert Pénavayre