Livres

Sexe, espionnes et cinéma

La lecture du dernier livre de Jean-Luc Douin, critique littéraire et de cinéma, est une hallucinante compilation des méandres, par définition mystérieux, de l’espionnage et plus particulièrement ceux qui ont, au gré de leurs sinuosités, croisés le 7e art au XXe siècle.

De Greta Garbo à Edwige Feuillère, de Marlène Dietrich à Joséphine Baker, en passant par Mata Hari, Coco Chanel et Leni Riefenstahl, la liste des exploits plus ou moins glorieux de ces dames forme un panorama, non exhaustif s’entend, découpé en quelque 90 chapitres d’une extraordinaire érudition. Ce livre, qui se veut un ciné-roman, avec toute la licence que cela présuppose, donne parfois le vertige tant les personnages évoqués sont à foison. Certains ont droit à quelques lignes. D’autres quelques pages. C’est le cas en particulier de Coco Chanel pour laquelle l’auteur retranscrit ici des extraits d’une intervention de l’historienne Rebecca Sanderson (Milan, mars 2013). Ces extraits tracent le portrait antisémite et collaborationniste de cette impératrice de la mode. Ahurissant ! Et ce n’est qu’un amuse-bouche.  En creux, ce chapitre, comme beaucoup d’autres, pose le problème de l’absolution des sympathies aux pires dérives totalitaristes eu égard aux qualités artistiques. Vaste sujet qui est en filigrane de l’opéra Voyage d’Automne de Bruno Mantovani, créé au Théâtre du Capitole le 22 novembre 2024. Entre pseudos à la pelle et noms de code, certaines des « héroïnes » ici rappelées de leur néant furent de véritables résistantes. Afin que nul n’oublie… Le langage est enlevé, pour ne pas dire alerte. Ce livre se feuillette plus qu’il ne se lit. Avec quelques belles révélations pour les non-initiés aux improbables arcanes politico-cinématographiques.

Et pour conclure, l’interview d’un témoin dont le nom est tu, prétendant se confesser auprès de l’auteur quant à son état d’esprit entre 1941 et 1944. Cette agent–double vit aujourd’hui en Midi-Pyrénées et a publié plusieurs romans. Nous n’en saurons pas plus. Si ce n’est la morale de ce livre mettant en perspective l’espionnage et… le bovarysme : s’imaginer autre que ce qu’on est. Une réflexion qui fait écho bien sûr, et même puissamment, avec le métier de… comédien.

Robert Pénavayre

« La Troupe des Ombres » Jean-Luc Douin – Actes Sud – 292 pages – 22,50€

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