Plus connu ces dernières années pour ses Aventures de Gabriel Joly (L’Assassin de la rue Voltaire, Le Mystère de la Main rouge, Le Loup des Cordeliers), Henri Loevenbruck nous revient en cette fin 2024 avec un opus à vrai dire prévisible depuis la parution en 2015 de son livre intitulé Nous rêvions juste de liberté.
Il nous met dans les pas d’une jeune fille, Véra, habitant un lieu non défini : Providence, une grande ville sous la coupe d’une multinationale : Goliath. Tous les habitants de Providence sont dépendants du géant en termes d’emploi, de commerce mais aussi du réseau social qu’il a fortement imposé comme seul moyen de communication. Enfin, tous les habitants, ce n’est pas exact… Véra développe le syndrome d’Asperger. Autiste de niveau 1, elle se fait souvent traiter de gogole… Elle se passionne pour l’informatique, science dans laquelle se glisse le syndrome pour en faire une technicienne hors pair. Malmenée par la vie, Véra n’a plus que sa mère qui est affectée à la collecte des déchets plastiques produits à foison par Goliath. Sans trop de précautions, la pauvre femme va en mourir, laissant Véra seule au monde. Seule au monde, pas tout à fait car l’oncle Freddy, qui tente de résister à la multinationale en faisant vivoter son garage, va la recueillir. C’est alors que Providence est la cible d’une organisation secrète : Le Brasier. Son but, faire plier Goliath et rendre Providence à la Maison Commune, c’est à dire à la terre nourricière, celle qui tente de nous héberger tant bien que mal depuis des millions d’années alors que les dernières décennies la voient plier sous le fardeau des mutilations que nous lui infligeons. Maline comme tout, Véra va finir par rejoindre Le Brasier. Commence alors pour la jeune fille une autre vie. Cette vie, c’est Véra elle-même qui nous la raconte au fil de ces pages écrites à la première personne. Elle nous la raconte avec son français à la rhétorique peu académique mais dont la musique des mots a ce pouvoir indicible de nous toucher directement, ouvrant avec le lecteur une proximité et une brèche émotionnelle incroyables.
C’est un conte bien sûr, un conte philosophique, un récit allégorique qui ne peut que nous faire penser au Candide de Voltaire. L’auteur creuse ici profondément le rapport entre notre civilisation et son environnement. De manière violente (mais chut !!!), il imagine ici un avenir possible alors que tous les indicateurs, nous le savons bien, sont au rouge en ce XXIe siècle. Comment pourrions-nous passer à autre chose concernant la survie de l’espèce humaine ? Quelle transition s’impose ? Henri Loevenbruck fait référence explicite au rapport Meadows (1972 !) qui mettait en garde, il y a donc un demi-siècle déjà, contre l’épuisement de nos ressources…
Ce roman se transforme vite en thriller dénonçant, entre autres horreurs modernes, la dépendance malsaine aux réseaux sociaux, outil infernal hystérisant les débats. Providence et Goliath sont bien sûr des incarnations de notre société et de notre monde. L’auteur n’a pas besoin de faire acte de dénonciation révolutionnaire car tout ce qu’il évoque constitue… notre quotidien. Il tente cependant, grâce à sa plume, de nous faire réfléchir encore et encore, sur les dérives sociétales et environnementales que nous cautionnons malgré nous par nos usages. Il introduit aussi, et très habilement, je dirais même avec une sublime virtuosité, la fameuse Intelligence Artificielle, dans cette histoire qui, finalement, nous concerne toutes et tous.
Si vous cherchez une idée de cadeau littéraire à offrir en cette période, n’hésitez plus, le voilà. A partir de 10/12 ans et bien au-delà !
Robert Pénavayre
« Pour ne rien regretter », roman de Henri Loevenbruck – XO Editions – 336 pages – 21,90€