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Modigliani, le quatuor prodigieux !

Les membres du Quatuor Modigliani. De gauche à droite : Amaury Coeytaux, premier violon, Loic Rio, second violon, Laurent Marfaing, alto et François Kieffer, violoncelle - Photo Classictoulouse -

La deuxième édition du Festival de Toulouse déroule avec succès une programmation musicale ouverte et diverse. Le 8 juillet dernier, elle accueillait, dans un auditorium Saint-Pierre des Cuisines plein à craquer, une formation de chambre qui s’impose parmi les quatuors à cordes les plus demandés de notre époque : le Quatuor Modigliani, qui célèbre cette saison les vingt ans de sa fondation. L’enthousiasme du public toulousain n’a pas manqué de saluer, à cette occasion, la prodigieuse prestation de ces musiciens.

Amaury Coeytaux, premier violon, Loic Rio, second violon, Laurent Marfaing, alto et François Kieffer, violoncelle, composent le Quatuor Modigliani. Ces musiciens ont depuis longtemps acquis une réputation d’excellence dont attestent les nombreuses et prestigieuses récompenses qui leur ont été décernées dès leurs débuts. Chacune de leur apparition témoigne de la profondeur de leur engagement. Il semble même que cet ensemble ne cesse de progresser en incarnation musicale, en investissement technique et expressif.

Au cours de cette soirée du 8 juillet, la beauté sonore, la richesse des timbres frappent dès les premières notes, dès les premiers accords. La précision du jeu de chacun, la cohésion de l’ensemble, l’équilibre entre les voix s’avèrent superlatifs. Certains passages semblent joués par un seul et même musicien sur un instrument particulier à seize cordes ! Ailleurs, chaque individualité se manifeste comme dans une discussion enrichie des contributions de chacun.

Nicole Yardeni et Julien Martineau présentent le concert – Photo Classictoulouse –

Présentée par Nicole Yardeni, adjointe au maire de Toulouse, déléguée aux relations avec les acteurs culturels, et Julien Martineau, directeur artistique du Festival, la soirée s’ouvre sur le Quatuor opus 54 n° 1 de Joseph Haydn. Considéré comme le père du quatuor à cordes, avec quelques soixante-huit opus, Haydn y dévoile dans ces compositions l’essentiel de ses caractéristiques expressives. Les Modigliani déploient, dès l’Allegro con brio initial un raffinement extrême. Une discussion amicale anime tout ce mouvement. La rêverie de l’Allegretto côtoie une tendresse sans affèterie. Le rythme de danse se déploie avec esprit dans le Menuetto et son Trio. Dans le Finale – Presto, la vitalité s’accompagne de ces traits d’humour dont le compositeur sait épicer ses œuvres. Les interprètes les traduisent avec subtilité et sous-entendus pleins de charme. Une musique du bonheur !

Suit une partition également joyeuse, la Sérénade italienne, la plus connue des œuvres instrumentales de l’Autrichien Hugo Wolf, par ailleurs compositeur de nombreux lieder. Achevée en mai 1887, cette brève pièce traduit avec brio un certain lyrisme. Les musiciens en exaltent la fantaisie, la grâce, avec comme une touche de pastiche.

La seconde partie de cette soirée ménage un contraste saisissant avec l’exécution stupéfiante de beauté et de grandeur du mythique Quatuor à cordes en ré mineur D. 810 dit « La Jeune Fille et la Mort », écrit par Franz Schubert en mars 1824. Ce chef-d’œuvre absolu reprend un thème du lied éponyme composé par Schubert quelques années auparavant. Notons tout d’abord que la traduction française de son titre ne rend pas justice à l’original : « Der Tod und das Mädchen », autrement dit « La Mort et la Jeune Fille ». L’ordre est inversé. La Mort reste, pour le compositeur, l’élément tragique essentiel.

Les musiciens du Quatuor Modigliani – Photo Classictoulouse –

Et c’est bien de tragédie dont il s’agit ici. Dans cette sublime partition, les musiciens portent à incandescence un jeu commun et individuel qui génère une émotion irrésistible. La finesse des phrasés, la parfaite cohésion, le « respirer ensemble » maintiennent une tension, une intensité expressive qui ne lâchent jamais l’auditeur.

C’est sur une véritable tempête que s’ouvre l’Allegro initial. La fébrilité alterne avec l’angoisse, dans un combat de chaque note, de chaque instant. Là encore on admire le sens des nuances, l’implication personnelle et complémentaire de chaque musicien dans un jeu commun d’une grande force expressive. Le thème de la Mort domine déjà. La confrontation suprême occupe l’Andante con moto, constitué d’une série de variations sur le thème du lied. De la plainte à la révolte, ce mouvement évoque même un autre lied de Schubert, le fameux « Erlkönig », le « Roi des Aulnes ». Le drame à l’état pur est admirablement traduit par le jeu transcendé des quatre musiciens.

Le Scherzo – Allegro molto, plein d’obsessions et de contrastes évoque une sorte de course à la mort. Le Presto final semble prolonger encore cette course, sur un rythme de chevauchée, en fait un étonnant rythme de tarentelle. Cette danse macabre, lugubre, atteint même une forme de paroxysme. Citons ici la grande musicologue Brigitte Massin qui décrit ce final comme « … une danse de cauchemar au rythme implacable et échevelé ». Un fois encore les Modigliani portent cette musique à incandescence !

L’ovation qui salue cette interprétation rappelle à de multiples reprises les musiciens qui prolongent le programme d’une pièce supplémentaire de Schubert, un Menuet de jeunesse, apaisant et tendre.

Oui vraiment, ce concert marquera le festival du sceau de l’excellence.

Serge Chauzy

Programme du concert donné le 8 juillet 2023 à 21 h à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines de Toulouse :

•             J. Haydn : Quatuor à cordes opus 54 n° 1

•             H. Wolf : Sérénade italienne, pour quatuor à cordes

•             F. Schubert : Quatuor à cordes en ré mineur D. 810 dit « La Jeune Fille et la Mort »

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