Beaucoup étaient venus assister à la prise de rôle du célèbre Maure par le ténor préféré des Chorégies : Roberto Alagna. C’est donc devant des gradins plus que confortablement garnis que ce sont déroulées les deux représentations de l’Otello verdien. Mais le triomphe de cette soirée du 5 août 2014 est logiquement échu à l’Orchestre Philharmonique de Radio France placé sous la direction de Myung-Whun Chung. Non pas que la suite du cast artistique ait démérité. Nous allons y revenir. Le public ne s’y est cependant pas trompé.
Dès les premiers et tumultueux accords de cette géniale partition, le chef coréen donne le ton et le tempo. Nerveuse, volcanique, spectaculaire autant que grandiose, la direction (sans partition) du maestro accompagne la descente aux enfers d’Otello avec une science lyrique autant que symphonique qui va faire de son orchestre le principal protagoniste du spectacle. Et de son succès, grâce à un sens dramatique exemplaire.
Sur scène et avec la complicité d’Emmanuelle Favre pour la scénographie, Nadine Duffaut met en place ce drame finalement intimiste avec infiniment de sensibilité. Un immense miroir brisé symbolise par anticipation les malheureux rêves de gloire et d’amour d’Otello. La scène finale, traitée sous forme caravagesque, en cela que petit à petit tous les protagonistes secondaires se fondent dans le noir pour laisser seuls visibles Otello et Desdemona, est particulièrement bien vue. Les très beaux costumes de Katia Duflot, dans un pastel argenté, mettent bien en valeur le rouge du cuir que revêt le Maure.
Final du troisième acte – Crédit photo Gromelles –
L’Otello de Roberto Alagna
Celui qui a ravi les oreilles toulousaines il y a quelques années avec son Alfredo, son Nemorino et autre Roméo se hasarde depuis plusieurs années à présent dans le territoire des ténors lirico-spintos, voire dramatique. S’il a toujours dit pour rassurer ses nombreux fans qu’il aborderait ces répertoires de manière lyrique, qu’en est-il en vérité? L’évolution naturelle de son organe conjuguée à une volonté certainement délibérée de grossir le médium et de travailler sur l’ampleur de la projection ne pouvaient laisser indemne un timbre adamantin devenu aujourd’hui d’airain. Si le phrasé demeure souverain, l’aigu s’est considérablement durci, tendu pour ne pas dire difficile. Réussir l’entrée d’Otello et son fameux Esultate, est un leurre car à découvert. Maîtriser le somptueux duo qui clôt le premier acte en est un autre car l’écriture en est extrêmement lyrique. Les vrais Otello ont rendez-vous avec la partition à partir du second acte. Dès lors il s’est vite avéré impossible pour Roberto Alagna d’affronter un orchestre flamboyant en véritable état de grâce. La colère du Maure se trouvait à plusieurs reprises noyée dans la tempête orchestrale, ne parvenant à se faire entendre qu’épisodiquement, du moins en direct, la retransmission télévisuelle ayant dû donner une autre impression de la balance fosse/plateau. Cela dit, son personnage est incontestablement fouillé et l’artiste en trace un intense portrait. Aujourd’hui, Roberto Alagna rêve de Lohengrin et de Tannhäuser…
A ses côtés, la Desdemona d’Inva Mula, sans avoir l’ampleur du vrai soprano verdien que sous-entend la partition, pour preuve particulièrement le grand concertato du troisième acte, tire cependant son épingle du jeu grâce à une musicalité hors pair, particulièrement bien sûr au dernier acte. En fait c’est bien le Iago du coréen Seng- Hyoun Ko qui est le plus à sa place dans ce répertoire avec sa voix puissante et homogène, son respect strict de la partition et de ses difficultés. Il faut entendre comment il cisèle la Chanson à boire et projette un Credo d’une incroyable violence.
Saluons d’excellents seconds rôles : Sophie Pondjiclis (Emilia), Florian Laconi (Cassio), Enrico Lori (Lodovico), Julien Dran (Roderigo), ainsi que la participation brillante des masses chorales venues d’Avignon, Marseille et Nice.
Pour l’année prochaine Raymond Duffaut nous a prévu un véritable duel de ténors ! Nous y reviendrons ici même dans peu de temps.