Le 30 juillet 2022, la foudre s’abattait sur le festival de Peralada ! Alors qu’il se donnait une représentation en concert de Nabucco de Giuseppe Verdi, Anna Pirozzi faisait son entrée. Et l’on sait combien le compositeur a « soigné » cette scène liminaire nous présentant Abigaille, une esclave qui voulut devenir reine de Babylone. Entre des sauts d’octaves meurtriers et des aigus flamboyants dardés au-dessus d’un orchestre qui ne pouvait pas lutter avec cette cantatrice, la messe était dite. Le festival avait affiché la titulaire mondiale du rôle !
Anna Pirozzi était à nouveau invitée cette année, en cette belle soirée du 27 juillet 2024, au Festival de Peralada mais cette fois dans le cocon beaucoup plus intime de l’Eglise du Carmen, accompagnée par un quintette composé d’un piano (Sophia Munoz) et du Quartetto Lirico Italiano (violons, alto et violoncelle). Au programme : Gaetano Donizetti, Gioacchino Rossini, Vincenzo Bellini, Giuseppe Verdi, Francesco Cilea, Giacomo Puccini, Ruggero Leoncavallo et Umberto Giordano. Autrement dit, les compagnons de jeu de cette cantatrice napolitaine dont le nom figure sur les affiches des plus prestigieux théâtres lyriques du monde. Si onze œuvres du Maître de Busseto figurent à son répertoire, il convient d’y ajouter Turandot, Tosca, Norma et bien d’autres. Mais réduire la voix de cette cantatrice aux impressionnants décibels que sa technique lui permet de distribuer avec générosité serait faire une injure à son véritable talent.
En effet, autant dans le Juste ciel du Siège de Corinthe (Rossini), que dans le Casta Diva de Norma (Bellini), dans l’air d’entrée d’Adriana, Io son l’umile ancella d’Adriana Lecouvreur (Cilea) que dans le Pace, pace, mio Dio de La Forza del Destino (Verdi), toutes les facettes de ce spinto colorature se dévoilent : dynamique, souplesse de la ligne de chant, phrasé large, appui sans faille, ambitus généreux, homogénéité parfaite des trois registres idéalement soudés, art de la demi-teinte incomparable dans cette tessiture. Bien sûr les vénérables pierres de l’Eglise du Carmen raisonnent encore du fulgurant si bémol maudissant l‘intrus venant troubler la solitude d’Eleonora, mais souvenons-nous aussi de l’habileté avec laquelle Anna Pirozzi nous délivre dans un souffle, certes puissant mais terriblement maîtrisé l’air de Lauretta du Gianni Schicchi (Puccini) ou encore l’air de Nedda d’I Pagliacci (Ruggero Leoncavallo). Tout l’art de LA Pirozzi, comme disent nos amis lyricomanes transalpins, est là, dans ce contrôle permanent d’un instrument vertigineux mis au service d’un répertoire d’une grande diversité d’intentions.
Devant une standing ovation largement méritée, Anna Pirozzi est revenue pour deux chansons napolitaines : Dicitencello vuie (Giacomo Rondinella) et l’te vurria vasana (Eduardo di Capua).
Robert Pénavayre
Photos : Miquel Gonzalez