Le 4 septembre dernier, le cloître des Jacobins, au maximum de sa capacité d’accueil, recevait le grand pianiste et compositeur turc Fazil Say. Les habitués se souviennent peut-être qu’il était déjà l’invité du festival il y a plus d’un quart de siècle, en 1998, à l’orée d’un exceptionnel parcours d’interprète et de créateur…
Les spécificités de son talent lui font aborder les répertoires les plus divers. Le programme de cette soirée d’ouverture en est un exemple frappant. Les mythiques Variations Goldberg de Johann Sebastian Bach occupent la première partie, alors que le second volet révèle quelques compositions originales du pianiste lui-même. Les siècles et les styles qui séparent a priori ces deux mondes musicaux sont finalement abolis par l’engagement passionné de l’interprète.
Composé par Bach en 1741 afin de « calmer les nuits sans repos » du Comte Keyserlingk, ces variations pour clavier portent le nom du jeune claveciniste Johann Gottlieb Goldberg, son premier interprète. Elles constituent un vaste recueil de quelques 32 épisodes qui s’ouvre et se referme sur le fameux thème générateur, d’une sublime sérénité que les 30 variations commentent et enrichissent.
Fazil Say conçoit l’œuvre comme une seule entité, chaque épisode évoquant l’étape d’un long voyage. A l’exception de quelques rares pauses conformes au texte musical, l’interprète lie les variations les unes aux autres, dans la continuité d’un récit expressif. Il aborde l’énoncé de l’aria initiale et celui de l’aria da capo finale avec un calme apaisant et apaisé. Entre ces deux « guillemets », il déploie un jeu à la fois dynamique et expressif, ce qu’autorise le piano moderne et que ne permettait pas le clavecin de la création de l’œuvre. Les contrastes dynamiques confèrent à l’ensemble une couleur inhabituelle. Ainsi, dès la variation 1, la danse anime le déroulement des mouvements vifs. L’alternance des variations oscille entre poésie, légèreté et parfois tragédie. A noter également les gestes et attitudes corporelles du pianiste qui souvent semblent prendre à témoin chaque auditeur ! Voici donc une approche très personnelle et ardemment défendue par un interprète qui ne suit en rien les sentiers battus.

Après un bref retour en coulisse, le pianiste ne prend aucun repos et revient sur scène en tant que compositeur et interprète. Quatre pièces courtes, mais particulièrement diverses et dynamiques, brossent le tableau d’un style orientalisant d’une grande originalité. La première de ces partitions, intitulée « Yeni hayat » (Nouvelle vie), Sonate pour piano op. 99, provoque comme une explosion de couleurs. Ses trois mouvements se succèdent dans une flamboyance réjouissante, animée d’interventions directes du pianiste sur les cordes de l’instruments devenu harpe ou percussion !
D’un caractère très différent, les Quatre ballades qui suivent alternent souffrance et nostalgie dans une écriture presque classique. Nazim, Ses, Kumru, Winter Morning in Istanbul en sont les titres. La pièce Kara Toprak (Terre Noire) pour piano instaure ensuite un nouveau climat, à la fois étrange et inquiétant, alimenté par les interventions directes de l’interprète sur les cordes de l’instrument.
La dernière œuvre prend enfin un caractère explosif ! Intitulée Fantaisie de jazz : Summertime, Paganini jazz, Alla Turc jazz, elle s’inspire et transpose donc des musiques de George Gershwin (Porgy and Bess), Niccolo Paganini (Caprices) et de Mozart et sa fameuse Marche Turque, particulièrement en situation ici…
Un prolongement jazzistique et flamboyant de ce motif mozartien met le feu à tout le cloître. Une ovation debout salue cette performance aussi bien physique que musicale. Voici qui augure bien de la suite de ce 46ème festival.
Serge Chauzy
Le programme complet du festival :https://classictoulouse.fr/festivals/la-46eme-edition-de-piano-aux-jacobins-ouvrira-la-saison-musicale-toulousaine/