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Une tragédie en musique de Jean-Philippe Rameau

Des conjectures de tous ordres apparaissent dès que l’on aborde le sujet des Boréades, œuvre ultime de Jean-Philippe Rameau (1683-1764). Tout n’est alors pour les musicologues que points d’interrogation. Est-on vraiment sûr que cette tragédie lyrique soit entrée en répétition un an avant la disparition du musicien ? Pourquoi cet ouvrage a disparu avant d’être joué alors que son compositeur jouissait d’une immense notoriété ? La main de la Pompadour aurait-elle été à l’origine de cette manœuvre funeste ? Le livret est-il bien signé Louis de Cahusac, mort en 1759 ?

Au milieu d’un tel imbroglio, il ne restait plus à ce chef-d’œuvre qu’à jouer un remake de La Belle au Bois Dormant et disparaître des radars pourtant affûtés des archéologues de la musique pendant plus de deux siècles, au chaud aux tréfonds de la Bibliothèque nationale de France. Mais voilà, la passion hexagonale pour célébrer les anniversaires a parfois du bon. Bicentenaire de la mort du compositeur (1964) oblige, la belle endormie va ouvrir un œil pour une interprétation allégée radiophonique. Cela dit c’est tout de même à nos amis anglais que nous devons la première audition intégrale de cet ouvrage. Ce fut très précisément au Queen Elizabeth Hall, sous la direction de John Eliot Gardiner, le 14 avril 1975. L’honneur reste sauf malgré tout car la première représentation scénique se fera au festival d’Aix en Provence en 1982, date donc de la création !

A vrai dire et malgré la magnificence de l’œuvre, celle-ci ne s’est malgré tout jamais imposée face aux Indes Galantes, Platée ou encore Castor et Pollux. Et c’est surprenant tant ces Boréades n’ont rien à envier à ces derniers titres. Saluons donc l’initiative de l’Opéra de Dijon, ici en coproduction avec le Komische Oper Berlin, qui présenta l’ouvrage à son public en mars 2019 (captation le 28 mars). Et tant qu’à faire, réunissant pour cette occasion des artistes de grand talent pour fêter l’évènement. Dans la fosse, rien moins que le chœur et l’orchestre du Concert d’Astrée sous la direction d’Emmanuelle Haïm. Cet ensemble n’a pas son pareil pour animer cette fresque aux accents contrastés dans lesquels s’immiscent gavottes, rigaudons et menuets. Et l’on ne s’ennuie pas une seconde au cours des 155 minutes que dure cet opéra.

D’autant que la production en est confiée au metteur en scène australien Barrie Kosky, bien connu pour ses… relectures. Il fallait un certain génie pour mettre en action l’histoire de cette souveraine qui, à l’instar d’une certaine Pénélope, se doit de choisir un mari. Le choix devra se porter sur l’un des deux fils de Borée, le dieu du Vent du Nord. Sauf que voilà la souveraine follement éprise d’un inconnu. Thème classique (évidemment), mais qui, grâce à la multiplication des talents ici réunis, y compris celui du chorégraphe Otto Pichler, prend des allures de thriller parfois d’une rare violence. Faisant bien heureusement l’économie d’une représentation empesée, trop souvent associée à ce répertoire, Barrie Kosky nous livre un spectacle d’une rare modernité de ton. A sa disposition des chanteurs de premier plan. Bien sûr, le couple vedette Hélène Guilmette (Alphise) et Mathias Vidal (Abaris) a tendance à rafler tous les suffrages tant leur interprétation autant vocale que scénique ne peut que convaincre. Mais ce serait faire injure à toute une distribution qui ne compte finalement que de magnifiques interprètes que de ne pas les mettre sur le même pied de contribution à pareille réussite. Il en est ainsi d’Emmanuelle De Negri qui cumule pas moins de quatre rôles dont celui, inénarrable, d’Amour et son carquois bien lourd…, de Christopher Purves, Borée impressionnant d’accents et de violence, d’Edwin Crossley-Mercer, toujours aussi juste (Apollon et Adamas), de Sébastien Droy et Yoann Dubruque, les deux Boréades, sans oublier les six danseurs dont la participation à l’animation générale de l’action est capitale.
Jean-Philippe Rameau est l’objet, depuis quelques années, d’un profond rajeunissement de perception/conception, autant de la part des metteurs en scène que du public, avec des réussites foudroyantes (voir les Indes Galantes toulousaines et parisiennes !!). Un vent nouveau soufflerait-il aussi sur ces Boréades ? Souhaitons-le.

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