DVD

Une imparable approche dramatique

      Entre le travail de prises de vue, la production de Deborah Warner, le talent dramatique des artistes engagés et leur « slavitude » native, nous tenons là l’une des incarnations, au sens propre du terme, les plus indéniables du chef-d’œuvre de Tchaïkovski. Filmée au MET de New York le 5 octobre 2013, cette représentation réunit une distribution difficile à surpasser. O Dans le rôle-titre, le baryton polonais Mariusz Kwiecien confirme bien son statut de star dans sa tessiture. La voix est somptueuse de timbre, de noblesse, d’élégance dans le phrasé, d’homogénéité aussi. L’acteur est ici formidablement engagé dans sa course au désespoir et finirait presque par nous rendre le personnage d’Onéguine attachant. Un comble ! Face à lui, son compatriote, le ténor Piotr Beczala, incarne le poète Lenski avec une spontanéité, un courage et une détermination face à l’inéluctable qui font de la grande scène qui clôt le troisième acte (Kuda, kuda…) l’acmé follement applaudie de la représentation. C’est la belle Anna Netrebko qui est Tatiana avec toute la retenue (presque trop…) qui sied à ce personnage de jeune femme campagnarde vivant ses rêves au travers de ses lectures. La merveilleuse voix de la soprano, aujourd’hui à son zénith, s’accommode en tous points de ce rôle demandant plus d’incarnation que de tempérament vocal. Si l’on excepte le désastreux Grémine trémulant d’Alexei Tanovitski, impensable dans une pareille distribution à vrai dire, les seconds rôles sont superlatifs, je parle ici d’Elena Zaremba (Madame Larina), Oksana Volkova (Olga), Larissa Diadkova (Filipievna) et jusqu’à l’incroyable Monsieur Triquet de cet immense acteur-chanteur qu’est John Graham-Hall. Ses couplets, en français, à Tatiana sont un moment de grâce totalement suspendu dans les airs.La production illustre, sans ces scories souvent dévastatrices aujourd’hui, le propos, les ambiances et la psychologie des personnages chers à Pouchkine. C’est simple, direct, juste. Un vrai bonheur.Il n’en est pas de même hélas avec le tsar Gergiev qui, à force de courir le monde dans tous les sens, finit par déraper. Il en est ainsi d’un premier acte, incluant hélas la scène de la lettre, totalement soporifique et sans direction. Fort heureusement, sa battue retrouve de l’énergie et une certaine acuité à partir du second acte. Sans pour autant devenir superlative, faut-il reconnaître. A consulter son emploi du temps, ce genre d’accident devient inéluctable. Cette réserve, sans être rédhibitoire, jette cependant une ombre sur cet enregistrement, une ombre que la pugnacité des interprètes finit heureusement par dissiper.

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