DVD

Pour sa valeur « historique »

      Les enregistrements en français (langue originale de cet opéra) des Vêpres siciliennes ne sont pas légion au point de faire la fine bouche avec celui-ci. Tout était réuni lors de la composition de cet opéra en 1855, juste après Traviata, pour que cette commande de la Grande Boutique (Opéra de Paris) à l’occasion de la Grande Exposition inscrive l’œuvre parmi les moins abouties du compositeur. Le livret d’Eugène Scribe et Charles Duveyrier ne convenait pas au musicien, pas plus d’ailleurs que l’obligation d’écrire 5 actes et un ballet pour cet ouvrage, architecture obligatoire ici dans la tradition des opéras fleuve de Meyerbeer et Halévy. Mais, à cette époque-là, Paris était la capitale des arts en Europe et tout artiste se devait d’y être affiché. Le résultat est une œuvre qui a encore et tout naturellement du mal à s’imposer aujourd’hui. Il faut dire que, mis à part l’ouverture qui fait les beaux soirs des concerts, l’air de Procida qui fait les délices des clés de fa et l’étourdissant Boléro d’Hélène, il n’y a pas grand-chose à retenir. Reconnaissons que parfois et au moment le plus dramatique de l’action en particulier, le sourire fleurit sur les lèvres du public lorsque le baryton dit au ténor, en gros : « Si tu m’appelles papa, je sauve ta bien aimée du bourreau et la Sicile avec ! ». Bref. Le présent DVD est la captation en octobre 2013 d’une représentation au Royal Opera House de Londres. Pour ajouter au peu d’intérêt de la trame dramatique, le metteur en scène norvégien Stefan Herheim nous plonge dans une lecture d’une incroyable complexité. O Un exemple : Procida, chef de l’insurrection italienne est ici un maître de ballet ?!?! Et c’est donc normal que le chœur des conspirateurs fasse des exercices à la barre… Quant au grand duo Hélène/Henri, c’est autour du billot qui doit supporter leur décapitation qu’il se passe. On a connu plus romantique. Arrêtons-là pour cette mise en scène prétentieuse qui ne veut strictement rien dire si ce n’est l’incapacité d’un « artiste » à envisager la lecture d’une œuvre. Qui plus est, Stefan Herheim ayant décidé de supprimer le ballet en tant que tel (on le comprend), met des danseuses en tutu sur scène en permanence, prétextant qu’à l’époque de la création, les bons bourgeois parisiens venaient avant tout à l’Opéra pour les petits rats. La vérité est un peu plus complexe, mais bon, pourquoi pas ? Sauf qu’il bâtit toute sa production sur ce pitch qui, il faut l’avouer, nous éloigne sensiblement du combat patriotique de ces pauvres siciliens. Et ce ne sont pas les magnifiques décors de Philipp Fürhofer qui peuvent sauver la situation.Reste la partie purement musicale. Avec Antonio Pappano, nous retrouvons enfin Verdi, son legato et sa verve dramatique. Sur scène, et remplaçant Marina Poplavskaya, la soprano arménienne Lianna Haroutounian se mesure à Hélène, un rôle impossible réclamant un grand Verdi… colorature. Certes son Bolero est bien venu, mais les registres grave et bas medium sont totalement absents de cette voix, du moins dans cette captation, ce qui est rédhibitoire dans ce répertoire. Le baryton allemand Michael Volle, wagnérien très apprécié, ne peut que passer à côté du personnage de Guy de Montfort, tant par sa couleur que par son style, malgré de belles recherches musicales. Son site officiel le qualifie de basse-taille, ancienne appellation de basse-chantante, mais qu’en est-il exactement d’Erwin Schrott ? Glamour jusqu’au bout des doigts, y compris dans le rôle ici de Procida (un exploit dans le genre), ce chanteur ne peut cacher sous une plastique plus qu’avantageuse et ravageuse une voix courte qui ne s’épanouit, et encore avec des effets de tubage eux aussi ravageurs, que dans le haut médium, le grave étant plus que confidentiel. Le français défaillant de ce pur produit médiatique achève de le décrédibiliser pour cet emploi. Heureusement il y a Bryan Hymel (Henri). Le ténor américain affronte ici un rôle ingrat, extrêmement exposé en termes de tessiture mais ne bénéficiant en réalité dans cette partition d’aucun moment de grâce susceptible de mettre en valeur sa vocalité. Vaillant guerrier (son dernier récital est intitulé « Héroïque ! »), Bryan Hymel franchit, dans un français parfait et avec les honneurs, tous les obstacles de cette écriture. Créé par Louis Gueymard, Henri conjugue les difficultés d’Arnold de Guillaume Tell, Jean du Prophète (dont il créa Jonas) et du rôle-titre de Robert le Diable, tous emplois dans lesquels s’est illustré le célèbre ténor français en ce milieu du 19ème siècle. Timbre brillant, quinte aigüe infaillible, voix longue et homogène parfaitement projetée sur l’ensemble de l’ambitus, Bryan Hymel est ici le seul chanteur à rendre pleinement justice à cet ouvrage.

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