DVD

Mozart avait alors 19 ans…

                Celui que l’Histoire a baptisé du titre largement mérité de Divin Génie a déjà à son actif, notamment, quatre compositions lyriques dans des styles différents telles que : Bastien et Bastienne, La Finta Semplice, Mitridate et Lucio Silla lorsqu’il reçoit en 1774 de l’Opéra de Munich la commande d’un dramma giocoso pour les fêtes de Carnaval de l’année suivante. Il lui est même proposé un livret spécifique, celui qui a servi de scénario à son confrère transalpin Pasquale Anfossi peu de temps auparavant pour un opéra du même nom. Cela dit, l’auteur de ce livret, l’abbé Giuseppe Petrosellini, demeure à ce jour une énigme car rien n’est moins sûr que cet homme d’église puisse endosser la paternité de cette œuvre. Ceci étant, Mozart va prendre ce livret à la lettre mais également l’œuvre d’Anfossi, notamment pour la structure de son propre opéra. Est-ce pour autant un vrai modèle pour le jeune salzbourgeois ? Certainement pas car dans l’ouvrage qu’il va faire créer, sans trop de succès faut-il le préciser, à Munich en 1775, Mozart fait la part belle autant au style buffo qu’au genre serio dans une alchimie nouvelle qui explosera avec la trilogie co-écrite avec Da Ponte. Nous voici donc en présence d’un authentique dramma giocoso. Que le livret soit plus qu’emberlificoté est une évidence, la présence d’un castrat n’arrangeant pas vraiment sa compréhension pour l’auditeur un peu distrait. Pas plus que les allées et venues vocales des deux personnages principaux entre les deux styles. C’est d’ailleurs dans la parfaite résolution scénique de cette permanente ambigüité que se trouve l’un des points forts de la présente captation réalisée à l’Opéra de Lille en mars 2014. O Mis en scène par David Lescot, dans une scénographie d’Alwyne de Dardel et des costumes de Sylvette Dequest, cet opéra, de près de 3 h (!), prend ici une vie trépidante d’une incroyable subtilité de ton. C’est à un véritable travail de théâtre que nous assistons, chacun des personnages étant cerné de manière diabolique par une mise en scène d’une acuité dramatique qui fait constamment mouche. Comment ne pas citer dans cette réussite scénique l’apport essentiel d’Emmanuelle Haïm à la tête de son Concert d’Astrée. Précise, vigoureuse, attentive au moindre climat, à la plus délicate atmosphère, enveloppant tous les styles d’une rigueur certaine, elle est, ou plutôt ils sont, l’idéal contrepoint musical de ce drame joyeux. Sur scène de grands talents se sont donné rendez-vous pour cette suite hallucinante d’airs. Et même si ceux-ci ne posent pas de difficultés en termes d’ambitus, encore faut-il non seulement tenir la distance mais chanter dans le style requis. Tenu par la soprano Erin Morley, qui peut de temps après devait s’emparer avec bonheur du rôle autrement périlleux de la Constance de L’Enlèvement au Sérail à l’Opéra de Paris, le double emploi de Sandrina/Violante offre à cette cantatrice un champ d’expression qui lui vaut un triomphe mérité. Il en est de même du Podestat de Carlo Allemano, de l’irrésistible Belfiore d’Enea Scala (quelle vis comica chez ce ténor !), de la volcanique Arminda de Marie-Adeline Henry, du Ramiro (créé par le castrat Tommaso Consoli) de Marie-Claude Chappuis, de la Serpetta très en ligne avec son style de Maria Savastano et du Nardo/Roberto, particulièrement bien chantant, de Nikolay Borchev. Au total, un DVD d’une grande qualité qui rend justice à une œuvre opérant avec génie une synthèse entre le Singspiel allemand, l’opéra-comique français et les styles serio et buffo. En annonçant en filigrane ce chef-d’œuvre de la maturité que sera Cosi fan tutte, cette Finta Giardinera, véritable laboratoire dramatique et musical pour Mozart, nous parle avant tout d’amour et de l’unité du couple. Et cela, David Lescot l’a bien compris !

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