Il y a tout juste un an, en janvier 2010, Nicolas Joel réunissait à l’Opéra de Paris – Bastille la distribution idéale du Werther de Jules Massenet. Fort heureusement, DECCA l’a immortalisée. La voici. Quand je parle de distribution, il s’agit bien évidemment des chanteurs, mais également de la production et de l’orchestre. Remplaçant plus qu’avantageusement la production de Jürgen Rose (mars 2009) sur cette même scène, la production de Benoît Jacquot, créée à Londres en 2004, est formidablement… cinématographique. La captation vidéo qu’en fait ce dernier pour le présent DVD relève d’ailleurs plus du 7ème art que de tout autre chose. Depuis sa Tosca, ce metteur en scène et réalisateur est connu pour exploser les codes de l’art lyrique. Ce DVD nous en donne une illustration supplémentaire. Laissant sa caméra fureter en coulisses pendant le spectacle, il nous transforme en témoins ébahis autant qu’émerveillés de l’extraordinaire concentration qui prélude à cet art si physique et si exigeant qu’est l’opéra. Du moins donné à ce niveau-là. Les prises de vues, les contre-jours, les cadrages, tout est là pour souligner les décors et les lumières d’André Diot et de Charles Edwards ainsi que les costumes de Christian Gasc. La mise en scène de Benoît Jacquot est d’une précision hallucinante, dans laquelle pas un geste ne relève du superflu ou d’une certaine tradition lyrique. Nous sommes à des années-lumière des captations du MET, pour aussi intéressantes soient-elles. Et quelle fantastique idée que de confier la direction musicale de ce chef-d’œuvre de l’opéra français à l’un des plus ardents défenseurs de ce répertoire : Michel Plasson. A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris, dont on ne dira jamais assez combien sa qualité est fondamentale dans la renommée de ce théâtre, Michel Plasson donne une lecture intensément romantique, laissant au temps le soin de distiller l’émotion, ne précipitant pas cette partition dans un galop effréné, libérant dans le plus intime de ses tempi l’incroyable respiration qui anime cette œuvre. La gigantesque standing ovation que le salua à son retour au pupitre du 3ème acte était largement méritée !Sur scène, ne tournons pas autour plus longtemps, LE Werther idéal : Jonas Kaufmann. Ce qualificatif est extrêmement dangereux car il clôt de facto tout commentaire. Et pourtant, quel autre employer ? Autant vocalement que physiquement, qui mieux que Jonas Kaufmann a incarné dans le passé, ou peut incarner aujourd’hui un poète aussi enflammé, suicidaire ? Artiste de notre temps, il sait à la perfection traduire les tourments de ce jeune homme saisi par les affres d’un romantisme crépusculaire. Et il le fait avec des accents d’une extrême modernité, envoyant aux oubliettes les stéréotypes encombrant encore trop souvent nos scènes lyriques. Ecoutez-le. Regardez-le. Vous n’en reviendrez pas.Sophie Koch (Charlotte) lui donne une réplique d’une très belle qualité autant émotionnelle et musicale. Les seconds rôles sont bien sûr au diapason, en particulier la Sophie d’Anne-Catherine Gillet.En résumé, une sorte de miracle qui va immédiatement rejoindre les plus prestigieuses pages de la légende de l’art lyrique.