DVD

L’implacable puissance d’un chef-d’œuvre

        Il n’est que de s’imaginer en 1642, date de la création de ce Couronnement, un an avant la disparition de son compositeur, pour appréhender le génie créateur et la modernité de celui qui reste dans l’Histoire de la musique comme l’initiateur du genre « opéra » tel que nous l’entendons encore aujourd’hui, quatre siècles après ! Même si un dénommé Jacopo Peri avait fait parler de lui quelques années avant la création de l’Orfeo de ce même Claudio Monteverdi en 1607, cette dernière date fixe quasiment la naissance officielle de l’opéra. C’est donc une œuvre primordiale, dans tous les sens du terme, que nous propose ce DVD, souvenir d’une production lilloise de mars 2012. Si le casting est de très haut niveau, nous allons y revenir, saluons avant tout l’énorme travail réalisé par le metteur en scène Jean-François Sivadier. Bien sûr nous retrouvons ici ce qui nous avait séduits dans sa Traviata d’Aix en Provence, comme une sorte de sceau.Mais que de moments à couper le souffle, que d’émotion dans la terrible scène de la mort de Sénèque, quelle direction d’acteur au cordeau, quelle cohérence aussi. O Même ce qui en a énervé certains, la lecture par un comédien, juste avant le duo final, des sanglants abîmes dans lesquels ont fini tous les protagonistes, fait sens en cela qu’il situe bien la fracture entre ce duo littéralement élégiaque et la triste réalité des mœurs barbares qui gouvernaient le monde des puissants de cette époque. Sur scène, des comédiens plus qu’engagés, sachant que la caméra va les traquer au plus près. C’est un festival ! Mais, attention, nous ne sommes pas ici sur le Boulevard du crime, car la musique, d’une foisonnante et fantastique délicatesse, n’autorise en rien l’histrionisme. Ajoutez à cela le Concert d’Astrée et sa directrice Emmanuelle HaÏm et vous avez les ingrédients d’un spectacle de 3 h en tous points remarquable. La distribution est nombreuse, pas moins de 26 rôles, d’importances différentes, aussi plusieurs artistes doublent voire triplent leur participation sans problème aucun. Le rôle-titre, si l’on peut dire, celui de Poppea, est tenu par la jeune soprano bulgare Sonya Yoncheva. A 31 ans et avec un physique qui n’aurait pas dépareillé dans les meilleurs péplums, elle incarne cette assoiffée de pouvoir avec une autorité renversante. Son timbre charnu et sensuel enveloppe à merveille toute la séduction qu’elle emploie pour arriver à ses fins. Face à elle, l’option a été prise de confier Nerone à un contre-ténor, et pas n’importe lequel : le croate Max Emanuel Cencic. Même s’il est possible d’entendre quelques stridences dans le registre aigu forte, il convient de reconnaître son immense technique vocale et sa maîtrise totale de ce répertoire. Ongles peints et cheveux peroxydés en pétard, il est l’incarnation perverse du tyran mégalo dont l’Histoire nous a laissé l’image. Un autre couple, moins glamour mais tout aussi glorieux : Drusilla et Ottone. La soprano Amel Brahim-Djelloul et le contre-ténor Tim Mead sont parfaits dans leurs compositions. Aussi bien dans la maîtrise du style baroque que dans la composition de leurs personnages, ils parviennent à nous rendre perceptible les tourments de leur incertaine relation. Ann Hallenberg est une Ottavia autant détruite que venimeuse, sculpturale figure de l’amour renié. Paul Whelan, Seneca, fait de la scène de son sacrifice la pierre angulaire de ce spectacle, non seulement par la magie de sa basse somptueuse, mais aussi par la dignité dont il entoure ses derniers instants en compagnie de ses disciples. L’émotion atteint ici son comble. Saluons aussi les deux rôles travestis pour leur explosive présence scénique : Rachid Ben Abdeslam (Nutrice) et, surtout, Emiliano Gonzalez Toro (Arnalta). Soulignons enfin, sans les citer, l’excellence de l’ensemble des seconds  rôles.Voilà, un spectacle original qui fait se croiser musique, théâtre, chant et décors en un tourbillon permanent d’intelligence et d’exigence, de pathos et d’humour, d’érotisme et de douleur. Une production à même de satisfaire tous les mélomanes et de convaincre ceux qui se sentent frileux devant l’opéra baroque.

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