DVD

Les grandes heures des Chorégies

        Sous un mistral dont seul le Théâtre Antique d’Orange a le secret depuis deux mille ans, Raymond Duffaut affichait en ce 13 juillet 1984 l’une de ces distributions qui ont fait la légende du prestigieux festival dont il venait de prendre la direction deux ans auparavant.   C’est en fait la captation télévisuelle de l’INA qui est aujourd’hui proposée en DVD. Dire que la prise de son est parfaite au même titre que l’image serait tromper le consommateur. Bêtement car, en fait, l’essentiel n’est pas exclusivement là. D’ailleurs, à quels sacrifices ne serions-nous pas prêts de consentir pour avoir un opéra entier avec Callas ! Bref,  cette mise en garde posée, venons-en à l’essentiel : la distribution de ce Don Carlo, en italien et sans l’acte donc de FontainebleauPour le grand retour de l’Orchestre National de France en ces lieux, Raymond Duffaut avait engagé le jeune chef américain Thomas Fulton. Sa direction intense et passionnée nous fait encore plus regretter sa disparition prématurée dix ans plus tard, à l’âge de 45 ans. La mise en scène de Jean-Claude Auvray est agréablement classique, alors que la scénographie de Jean-Paul Chambas, à forte connotation symbolique, est inspirée d’œuvres signées Greco et Velasquez, ici éclatées sur toute la surface du Mur. Mais à vrai dire, la captation tv ne permet pas d’en juger parfaitement la pertinence. Les somptueux costumes, provenant de la production milanaise de Luca Ronconi, sont signés Damiani. Renato Bruson au firmament Certes, le casting était éblouissant, nous allons y revenir, mais comment ne pas commencer par celui qui fut, sans conteste, la véritable star de la soirée, le baryton Renato Bruson. Son Posa, l’un des plus beaux rôles verdiens dans cette tessiture, si ce n’est le plus beau, demeure encore aujourd’hui une référence absolue tant en termes de phrasé, de couleurs, de style, d’intelligence et de musicalité. Autre monument, l’Eboli de la mezzo américaine Grace Bumbry. Ce véritable volcan nous délivre un Don fatale qui n’a que bien peu, voire pas du tout, d’équivalent de nos jours. Son timbre charnu, son impériale projection, ses accents dramatiques, tout fait d’elle une Princesse d’anthologie. Le Don Carlo du ténor catalan Giacomo Aragall se bonifie tout le long de la soirée et le dernier acte est plus que convaincant. Ainsi en a–t-il été pendant toute la carrière de ce splendide chanteur perpétuellement travaillé par un trac incontrôlable. Dommage car le timbre était magnifique d’intensité, le style particulièrement châtié et l’ambitus plus que confortable. C’est l’Américain Simon Estes, un baryton-basse wagnérien qui chante Philippe II. Sa voix ample et son legato ne peuvent cacher le manque d’italianité de cet organe superbe au demeurant. Le Grand Inquisiteur de Luigi Roni, quant à lui, est carrément sur sa deadline ! Venons-en à Montserrat Caballé (Elisabeth). L’interminable ovation que lui réservent ses inconditionnels à la fin de Tu che le vanità s’adresse à une immense cantatrice dont les moyens diminuent alors  d’année en année. En 1984, le registre aigu se pare, si l’on peut dire, de stridences alarmantes, le grave ne répond plus si ce n’est en le poitrinant outrageusement. Demeure un splendide medium, un contrôle du souffle renversant de longueur et les sons filés qui ont fait une partie de sa gloire. Et quel personnage ! Quelle noblesse ! Est-ce suffisant ? Non, bien évidemment. Et c’est quelqu’un qui l’a profondément admirée qui écrit ces lignes. La mort dans l’âme… Malgré tout, un témoignage unique, à posséder impérativement !

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