DVD

Les Contes de Pelly

      Ce coffret, qui ne contient aucune plaquette (?), comporte cependant sur son verso la mention : « D’après l’édition intégrale de l’opéra par Michael Kaye et Jean-Christophe Keck ». Si l’on se réfère à l’édition qui en est donnée à l’Opéra Bastille dans la production, superbe, de Robert Carsen, cela fait 10’ de plus, soit 3h et 3’. Quand on a dit ça, on a tout dit et… rien dit, tant cet opéra est à géométrie variable. Jacques Offenbach composait jusqu’à la dernière des répétitions, voire plus avant encore. Le compositeur n’ayant pas eu le bonheur de connaître l’immense succès de son œuvre la plus ambitieuse, il ne restait plus à une poignée de musicologues qu’à fureter dans tous les greniers de France et de Navarre afin de trouver des traces des multiples partitions autographes de cette œuvre. Aujourd’hui, on ne compte plus les versions « autorisées », pour le plus grand profit de Richard Bonynge, Fritz Oeser, Michael Kaye et Jean-Christophe Keck. La vérité sur les souhaits finaux de Jacques Offenbach n’étant plus de ce monde, il est inutile d’entrer dans une polémique stérile. Contentons-nous de noter simplement les différences majeures par rapport à l’édition Choudens, en fait la plus familière à l’oreille des mélomanes. Et déjà une cinquième version chez cet éditeur ! Ici les dialogues parlés sont restitués, dans la plus pure tradition de l’Opéra-Comique. Le « Scintille diamant » de Dappertutto disparaît,  totalement apocryphe d’ailleurs, si ce n’est que la musique est bien d’Offenbach mais issue de l’Ouverture de son  Voyage dans la Lune. Disparition également du fameux Septuor du 4ème acte, splendide mais pas du tout de la main d’Offenbach. Toujours au 4ème acte, Hoffmann tue involontairement Giulietta. Le double rôle de Nicklausse et de la Muse prend de l’ampleur avec le rétablissement de quasiment tout le matériel le concernant écrit par le compositeur. Stella et Hoffmann ont droit à un duo dans le 5ème acte. Ainsi de suite. En fait, que nous propose cette captation d’un spectacle donné au Liceu de Barcelone en février 2013 ? Tout d’abord une vision, signée Laurent Pelly, extrêmement sombre et violemment dramatique. O Dans une scénographie de sa complice habituelle, Chantal Thomas, nous assistons à une véritable descente aux enfers d’un jeune homme (Hoffmann) fou amoureux d’une poupée (Olympia) tout droit issue du laboratoire d’un fou furieux type Frankenstein (Spalanzani), assisté d’un Quasimodo à faire frémir (Cochenille). Le second acte nous amène dans une maison à l’architecture variable (dispositif assez impressionnant). C’est l’acte le plus réussi dramatiquement, autant par la mise en scène mettant bien en valeur le rôle du violon dans la dramaturgie que par un jeu d’ombre sidérant d’efficacité (la main du Docteur Miracle ouvrant la porte de la chambre d’Antonia à distance nous transporte dans un vrai film d’horreur). Pendant tout ce temps, Hoffmann assiste muet à la scène, par impuissance, par lâcheté ? Au troisième acte, le jeune poète n’est plus qu’une loque avinée se roulant dans le stupre, rabrouant sévèrement son ami (sa muse) Nicklausse. Le parcours psychologique du héros a été rarement aussi bien conduit et il n’est rien de dire combien le travail de Laurent Pelly sur ces Contes est à des années-lumière de celui qu’il a signé pour les Puritains parisiens. Ainsi redéfini, le rôle-titre, l’un des plus terribles de tout le répertoire français, est encore plus long et difficile ! Ce qui n’est pas peu dire. Remplaçant, certainement avantageusement, son confrère italien Vittorio Grigolo, l’Américain Michael Spyres fait face, avec les honneurs, à ce rôle créé par le Bordelais Jean-Alexandre Talazac. La prosodie est particulièrement châtiée au vu des origines de ce ténor, la voix est homogène avec une belle projection dans le medium et le grave (c’est un ancien baryton), l’aigu est percutant même si parfois les notes de passage détimbrent légèrement. Sans parler de transcendance dans son jeu scénique, le portrait qu’il trace du poète maudit est finalement convaincant. Surtout pour une prise de rôle ! Si Natalie Dessay était annoncée de longue date comme interprète des trois rôles féminins principaux, elle se cantonna, à juste raison, à celui  d’Antonia. Il n’est rien de dire combien elle incarne avec une fragilité et une détermination bouleversantes cette jeune fille condamnée à mourir en suivant les pas de sa mère cantatrice. Magnifique ! La soprano coréenne Kathleen Kim est une Olympia aux suraigus vertigineux. La Russe Tatiana Pavlovskaya est le point faible de la distribution, autant pour  un Français très « Europe Centrale » que par un chant débridé. Laurent Naouri chante les quatre « diaboliques » avec une justesse de ton et une intelligence musicale qui font rendre les armes devant une voix qui n’est pas au demeurant exceptionnelle. Révélation de cet enregistrement, la mezzo-soprano canadienne Michèle Losier incarne le double rôle Nicklausse/La Muse de son timbre chaud et passionné, sa prosodie est parfaite, son engagement scénique constant. Superbe ! Si tous les seconds rôles sont à féliciter pour leur tenue exemplaire, il en est tout de même un qu’il faut saluer particulièrement, c’est le ténor espagnol Francisco Vas. C’est lui qui a en charge les quatre rôles de composition qui sont censés faire baisser la pression dans cet ouvrage. Il y est exemplaire de style. Stéphane Denève, à la tête des phalanges chorales et instrumentales de la célèbre maison d’opéras catalane, dirige avec beaucoup de soins et d’attention cette nouvelle version des Contes, une version dont la cohérence dramatique et musicale devrait lui assurer un bel avenir.

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