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Le choc des générations

      Enregistrée en 1992 au MET de New York, cette production du génial Falstaff de Verdi est un vrai concentré de deux générations d’interprètes qui ont fait la gloire de l’art lyrique au 20ème siècle, voire de nos jours encore.   Pensionnaire de cette vénérable institution, la basse américaine Paul Plishka se voyait offert, à 52 ans, ce rôle en or pour qui sait y mettre un brin d’humanité. Et Dieu sait si ce chanteur n’en manque pas. La vidéo de Brian Large nous le montre au plus près de ses émotions, sans trivialité aucune, le regard tour à tour lubrique, éploré ou vengeur. Il est  le pancione cher au compositeur dans toute son énormité, pliant sa gigantesque voix de basse à la subtile écriture verdienne. Un monument ! Dans le rôle épisodique du Docteur Cajus, une légende vivante de l’opéra : Piero de Palma. Ce ténor a traversé le siècle dernier de part en part dans des emplois dits de comprimari. A 77 ans, il impose, avec la science scénique inimaginable qui est la sienne et une voix d’une stupéfiante fraîcheur, ce personnage faussement inquiétant. Pour sa première apparition au MET dans le rôle de Mistress Quickly, Marilyn Horne prouve qu’un organe bien mené peut, à 64 ans, assumer plus que pleinement cet emploi, à vrai dire sans grande difficulté pour cette prestigieuse cantatrice.Le cas de Mirella Freni, 58 ans alors, est un peu plus complexe. Beaucoup de classe, d’italianité et de style certes, mais reconnaissons que les aigus fruités qui furent sa signature vocale appartiennent déjà au passé. Son Alice est trop tardive. Dommage.Saut de génération avec Barbara Bonney. Bien sûr le timbre du soprano américain, alors âgé de 37 ans, n’a pas la couleur idéale pour  Nannetta. Mais quelle musicalité ! A tomber à genoux.De deux ans son cadet, le ténor Frank Lopardo, américain également, ne fait qu’une bouchée de Fenton, mettant au service du jeune homme amoureux de Nannetta une magnifique ligne de chant et un timbre suave.La petite jeune de la distribution a, depuis, fait pas mal de chemin. Et quel chemin ! A 33 ans, Susan Graham est, déjà, une Meg de luxe. Dans ses courtes interventions, il est facile de noter la beauté du timbre et l’autorité vocale qui en ont fait aujourd’hui l’une des stars de la planète lyrique.N’oublions pas, parce qu’ils sont excellents, les deux compères en filouterie : Anthony Laciura (Bardolfo) et James Courtney (Pistola).Créée en 1964, cette production, en fait la première du metteur en scène et décorateur Franco Zeffirelli pour le MET, fait la part belle à une certaine imagerie shakespearienne, mais se singularise par une approche psychologique de chaque personnage que la vidéo souligne à l’envie. Et avec Paul Plishka, il y a matière ! Dans la fosse, James Levine coule sa direction dans le flot effréné d’un livret au cordeau, peut être le meilleur mis à la disposition de Verdi. Personnage à part entière, l’orchestre joue ici une partition dont l’intelligence et le génie sont bien le condensé de toute une vie.

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