DVD

La guerre des Roméo a bien eu lieu

      Business is business. Au moment où DGG met sur le marché le live du Roméo et Juliette de Salzbourg 2008, Opus Arte sort le sien en DVD, celui de Covent Garden 1994. Pour les amateurs d’opéra, la comparaison, pour ne pas dire la confrontation, devenait inévitable. Complet six mois à l’avance, le spectacle salzbourgeois devait présenter le couple vedette de l’opéra d’aujourd’hui : Anna Netrebko et Rolando Villazon. Pour cause, bien compréhensible, de maternité avancée, la soprano russe fut remplacée par sa consœur  géorgienne Nino Machaidze. Sa Juliette est incontestablement solide, même si le timbre métallique trahit ses origines. Le problème est assurément le traitement dramatique que lui inflige le metteur en scène Bartlett Sher. Exit la jouvencelle chère à Shakespeare, voilà une Marie Chantal des plus horripilantes. Dès le premier acte, c’est mal parti. Le ténor mexicain Rolando Villazon, dont on connaît les déboires depuis quelques temps, se transforme ici en Roméo complètement anxiogène, agitant ses bras dans tous les sens, traçant dans l’espace des figures sémaphoriques pathétiques. Escamotant quelques aigus facultatifs ou… écrits (?!), il passe au large de cette œuvre, ne respectant ni style, ni phrasé. Une vraie caricature.   Mis à part le Capulet hors de propos de Falk Struckmann (pourquoi un Wotan pour un tel rôle ?), la suite de la distribution est digne de ce festival prestigieux entre tous, en particulier le superbe et jeune Frère Laurent de Mikhaïl Petrenko. Pétri d’humanité, chantant dans un français inattaquable, cet artiste développe une basse d’une rondeur et d’une musicalité en tous points remarquables.Soulignons aussi la direction du chef québécois Yannick Nézet-Seguin qui, à la tête du Mozarteum Orchester Salzburg, est l’un des rares ce soir-là à rendre justice à l’immense mélodiste que fut Charles Gounod. De la production, signée donc Bartlett Sher, sans grand relief et plutôt tape à l’œil à vrai dire, il convient tout de même de retenir l’étourdissante scène du duel, digne du meilleur des films de cape et d’épée de la grande époque. Etait-ce suffisant ? La réponse est sans appel : non. Novembre 1993, Capitole de Toulouse. Le monde de l’art lyrique découvre un Roméo comme il n’en rêvait même plus : Roberto Alagna. Une magnifique Juliette l’accompagne : Léontina Vaduva. Une production qui fait surgir l’émotion à tous les instants, signée Nicolas Joel. Le succès est tel que l’ensemble va s’envoler à Paris, à Bruxelles et à Londres. C’est d’ailleurs dans la capitale britannique que sera immortalisée cette production. On reste, quinze ans après, toujours aussi ébloui par ce spectacle, par l’engagement dramatique de tous les interprètes, la voix irradiante de soleil, de phrasé, d’ampleur du ténor franco-sicilien, la musicalité et le velours du timbre de la Vaduva, la parfaite distribution des seconds rôles, la direction de Charles Mackerras,même si l’on eut préféré Michel Plasson. Bouleversante, juste de ton, stylistiquement parfaite, cette version est le témoignage historique de l’une des plus grandes réussites de Nicolas Joel, directeur du Capitole de Toulouse. En la matière, Salzbourg ne pouvait pas lutter.

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