Il est impossible de faire l’impasse ici quant à la référence au célèbre conte de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve. D’un côté la blonde et fragile féminité de la Desdemona de Renée Fleming, de l’autre la puissance, le gigantisme, pour ne pas dire l’énormité, du Maure de Johan Botha. C’est dans une ancienne production, créée en 1994, mise en scène par Elijah Moshinsky, dans les décors de Michael Yeargan et les costumes de Peter J. Hall, tout cela fleurant bon le muséal cher au public américain, que se trouvait réuni un trio de stars de l’art lyrique contemporain.Un trio, autant le dire de suite, dominé de la tête et des épaules par Renée Fleming. Comment, en effet, résister à ce timbre de miel, à cette souveraine musicalité, à ce physique hollywoodien et à ce quatrième acte qui la trouve ici à son meilleur, quasiment sans rivale aujourd’hui ? O Bien sûr, il serait bien innocent de faire l’impasse sur son manque de projection, de spinto, dans le concertato de l’acte précédent. Mais l’artiste le sait. Elle n’est pas un soprano verdien. D’ailleurs sa longue carrière ne l’a vue s’approcher que prudemment de ce compositeur, et seulement dans les « sopranos blonds », à savoir Violetta (La traviata), Amelia Grimaldi (Simon Boccanegra) et Desdemona (Otello). Le rôle d’Otello est écrasant de présence comme d’impact vocal. Le ténor sud-africain Johan Botha fait une carrière largement internationale en affrontant, avec succès d’ailleurs, les rôles les plus dramatiques de son registre : La Femme sans ombre, Daphné, Tannhäuser, Walkyrie, Turandot, Aïda, Ariane à Naxos et autres joyeusetés. La voix est là, puissante, timbrée, cuivrée, homogène jusque dans le bas medium et le grave, et si l’aigu s’éclaircit un peu, il n’en est pas moins péremptoire et le musicien sait accorder à son chant stentorisé quelques plages d’une belle musicalité. Reste l’acteur. Autant dire le néant total si ce ne sont quelques gestes et roulades oculaires dignes du Boulevard du Crime. Scéniquement, c’est également le reproche que l’on peut adresser au Iago primaire du baryton-basse allemand Falck Struckmann. Sauf qu’avec cet artiste, le problème est aussi dans un changement de répertoire qu’il est en train d’opérer. Aujourd’hui engagé pour les emplois de basse wagnérienne, 2012 le voit en réelle difficulté sur l’écriture du machiavélique Iago. Et c’est au prix de grimaces impossibles (le DVD est mortel en la matière) qu’il parvient plus ou moins dans les strates supérieures de sa partition. Parmi les seconds rôles, l’un d’eux fut particulièrement salué par le public, et à juste raison, c’est celui de Cassio, tenu par le jeune ténor Michael Fabiano. A 31 ans (depuis la semaine dernière), cet artiste américain vient de triompher à Paris dans Faust et au MET dans Lucia di Lammermoor. Un nom à suivre indiscutablement. Si le chœur maison n’était pas ce soir-là dans une forme olympique, il n’en était pas de même de l’orchestre, toujours aussi somptueux et précieux dans ce répertoire, ici sous la direction appliquée et attentive de Semyon Bychkov. Mais que de sacrifice ne ferions-nous pas pour la Belle Renée ?