A la lecture de ce DVD, capté au Royal Opera House de Londres le 25 avril 2016, nous comprenons mieux la stupeur de nos amis mélomanes anglais, leur désarroi et leur fuite en pleine représentation. Quant à ceux, stoïques, qui attendaient la fin, il ne leur restait plus qu’à sourire… de dépit. Et tout cela parce que le metteur en scène ultra féministe britannique Katie Mitchell a décidé de « relire » cette Lucia, parangon de l’opéra préromantique italien, créé en 1835. Le fait qu’elle décale l’action du 17ème siècle à l’ère victorienne n’est pas une injure à l’œuvre. Le fait qu’elle coupe systématiquement en deux la scène du ROH afin de montrer ce que nous sommes censés imaginer, sans être révolutionnaire, est admissible en tant que geste théâtral. Ce faisant, tous les ensembles se trouvent confinés dans des espaces qui entassent les choristes les uns sur les autres. Bref. Par contre, ce qui est plus discutable, c’est de faire de Lucia une vraie nymphomane qui viole quasiment Edgardo au 1er acte, ce pauvre Ravenswood se retrouvant cul nul sur la tombe de ses ancêtres et satisfaisant du mieux qu’il peut une fiancée en état de transe et menant les « débats »… Ce qui doit arriver après ce genre d’exploit, arrive. Dans l’ardeur de leur rencontre, les deux jeunes gens n’ont pris aucune précaution et voilà Lucia enceinte. Il n’y a qu’à la voir vomir dans les toilettes pour le comprendre. Nous pensions en avoir vu assez, quoi que… Sachant Katie Mitchell nourrie au sang du théâtre d’Europe de l’Est, peut-être que tout n’était pas fini. Effectivement, pendant le chœur de jubilation du 3ème acte côté cour, le côté jardin nous montre le véritable massacre d’Arturo. O Avec l’aide d’Alisa, Lucia commence à faire une séance de séduction suggestive, genre sado-maso, à ce pauvre Arturo. Une fois les mains attachées et les yeux bandés, la fête commence à coup de poignard. Mais Arturo est un solide. Alisa se voit contrainte de l’étouffer avec un oreiller. Mais voilà qu’il remue encore, une solution s’impose à Lucia, elle lui tranche la gorge. Inutile de vous dire que plus personne n’écoute qui que ce soit, tout le monde ayant les yeux rivés sur le côté jardin. Car ce n’est pas fini pour Lucia. Il lui reste à faire une fausse couche particulièrement gore, à se tailler les veines dans sa baignoire et enfin rendre l’âme. J’allais oublier, Edgardo, fort de l’exemple, s’égorge sur le corps de sa bien-aimée. Fin de partie. Et pour cause… Tout cela est ridicule bien sûr et trahit l’œuvre dans toutes ses dimensions. Inutile d’épiloguer davantage. Reste la distribution. Et pour le coup nous tenons ici le meilleur Edgardo d’aujourd’hui, le seul à pouvoir se mesurer vocalement à l’iconique Carlo Bergonzi dans ce rôle : Charles Castronovo. Tout dans la chair dense et veloutée de ce timbre, dans le phrasé, la musicalité, l’homogénéité de la voix, l’ardeur de l’interprète (sans jeu de mot svp), fait de cet artiste, car c’est bien plus qu’un chanteur, un Edgardo d’anthologie. Pour lui, il vous faut cet enregistrement. Bien sûr Diana Damrau s’engage dramatiquement, à la mesure de ses moyens… Mais hélas nous n’y croyons guère. Certes la soprano est superbe vocalement, même si le suraigu se tend sensiblement malgré tout. Mais quelle maîtrise des sons filés et de la demi-teinte. Une technicienne hors pair, nous le savons. Que dire de Ludovic Tézier, au risque de se répéter : une voix merveilleuse, bien qu’aujourd’hui ce répertoire semble lui échapper stylistiquement parlant, et un comédien, si nous pouvons employer ici ce substantif, complètement étranger à l’action si ce ne sont des roulements oculaires dignes de Sarah Bernhardt. Kwangchul Youn, Raimondo, wagnérien de répertoire, n’a pas sa place dans cette Lucia. Cette basse coréenne semble errer ici comme un malheureux totalement étranger à cette culture. Malheureusement, ce n’est pas le chef d’orchestre Daniel Oren qui sauve le navire tant sa direction s’apparente à ce qu’il fait, bien d’ailleurs, quand il dirige Aïda aux Arènes de Vérone. Ce n’est ni le lieu, ni l’ouvrage pour une telle battue qui se révèle ici caricaturale et sèche. Des réserves donc, bien sûr. Mais comment se passer de l’Edgardo de Charles Castronovo ? Aujourd’hui, mission impossible !

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