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Anna Bolena – Gaetano Donizetti – Evelino Pidò (Wiener Staatsoper)

                Le choc des reines du bel canto Capté en avril 2011 sur la scène du Wiener Staatsoper, le premier volet de la fameuse trilogie des reines donizettiennes (Anna Bolena, Maria Stuarda, Roberto Devereux) fait son entrée au répertoire de l’illustre maison. Créé en 1830 par un compositeur d’à peine 33 ans, cet ouvrage, si ce n’est ressuscité du moins marqué par Maria Callas au milieu du siècle dernier, requiert une distribution aux solides qualités stylistiques et techniques. C’est en grande partie le cas ici.   Le titre de cet opéra ne porte pas le nom de l’héroïne pour rien. En effet, le rôle d’Anna Bolena est littéralement terrifiant de longueur et de difficultés. D’ailleurs, l’ouvrage dure 3 h 15 et met à rude épreuve l’ensemble des participants. C’est la soprano autrichienne d’origine russe Anna Netrebko qui revêt à cette occasion et pour la première fois les habits de cette malheureuse décapitée à 29 ans. C’est une réussite que l’on est bien obligé d’admettre malgré les souvenirs plus ou moins récents dans nos oreilles de Callas, Gencer, Caballé ou Sutherland. La voix de cette cantatrice a pris, depuis quelques années, une couleur, un poids et une projection qui l’autorisent aujourd’hui à aborder ou envisager Tatiana (Eugène Onéguine), Léonore (Il Trovatore) et la Lady Macbeth de Verdi. Pour l’heure, sa parfaite maîtrise des règles belcantistes en fait une interprète idéale pour le personnage de cette souveraine. A ses côtés la mezzo lettonne Elīna Garanča lui donne une somptueuse réplique. D’une beauté vertigineuse, cette cantatrice chante une Giovanna Seymour d’anthologie. Le velouté de sa voix, sa puissance de projection, la longueur d’un ambitus parfaitement homogène, un phrasé exemplaire, encore une fois toutes les qualités indispensables et encore plus sont ici au rendez-vous. Leur immense duo du deuxième acte est, évidemment, un monument. Enrico VIII à la fougue et l’engagement dramatique du baryton-basse italien Ildebrando D’Arcangelo. Si cet artiste remarquable se montre ici avare en nuances, comment ne pas tomber sous le charme d’un timbre magnifique et d’une parfaite ligne de chant qui s’épanouit surtout dans le medium et l’aigu, le registre grave, cependant sollicité par la partition, étant chez ce chanteur un peu plus confidentiel. Est-ce bien tout à fait la voix du rôle ? C’est aussi la question que l’on se pose avec le Percy du ténor italien Francesco Meli. Le rôle est épouvantablement aigu et nécessite de ce fait une maîtrise parfaite de ce registre. Dans le cas de cet artiste, dont les qualités de style sont indiscutables, n’y a-t-il pas une erreur de casting, car franchement quelques notes font frémir… La mezzo-soprano autrichienne Elisabeth Kulman (Smeton) complète avec talent cette distribution. Si la mise en scène du niçois Eric Genovese semble paralysée par la présence des stars sur le plateau, somptueusement habillées par Luisa Spinatelli, elle laisse par contre une grande liberté à ces dernières pour mettre en valeur sans les mettre en danger leur splendeur vocale. C’est déjà pas mal. Est-ce suffisant pour rendre dramatiquement ce spectacle palpitant ? Clairement non. D’autant que Brian Large le filme avec un manque d’imagination paresseuse. C’est loin d’être le cas par contre de la direction incisive du maestro italien Evelino Pidò. C’est lui qui met en musique et porte à l’incandescence ce drame, alternant avec un bonheur sans mélange les moments extatiques (Al dolce guidami) et les cris de haine (Coppia iniqua), pour ne citer que ces deux exemples entièrement contenus dans la scène finale de l’opéra. Soulignons que les phalanges « maison » sont aussi un instrument de luxe dans le répertoire lyrique.

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