La nouvelle parution des jeunes musiciens du Quatuor Arod place cet ensemble parmi les meilleurs représentants des formations équivalentes. Ces quatre garçons dans le vent consacrent cet album à trois partitions françaises dont une création. En outre, le CD de ces enregistrements s’enrichit d’un DVD particulièrement bien conçu sur la démarche et le fonctionnement artistiques de ce quatuor promis à un bel avenir.
Fondé il y a maintenant dix années à l’initiative de son premier violon Jordan Victoria, le Quatuor Arod a connu quelques évolutions. Sa composition actuelle réunit, à côté du premier violon Jordan Victoria, le second violon d’Alexandre Vu, l’alto de Tanguy Parisot et le violoncelle de Jérémy Garbarg. L’enregistrement des trois partitions de musique française abordées ici ainsi que le riche contenu du DVD témoignent de la subtile alchimie qui permet à quatre individualités de se fondre en une seule entité musicale.
La vidéo jointe au CD est l’œuvre d’un spécialiste du domaine musical, et tout particulièrement des quatuors à cordes, puisqu’il s’agit de Bruno Monsaingeon. La lecture de ce témoignage passionnant constitue une introduction conseillée avant l’écoute de l’enregistrement lui-même. On y apprend ce cheminement subtil et presque miraculeux de l’individualité de chaque musicien vers la fusion du groupe. Jusqu’à ce que le quatuor résonne comme un seul instrument à seize cordes tenu par un seul musicien.
Intitulé justement « Ménage à quatre », ce film révèle le contenu des échanges non seulement de phrases musicales et de motifs, de sonorités, d’intentions, mais également des regards et des gestes de chacun. On y apprend notamment que la recherche d’une parfaite justesse se traduit par le choix de diviser un demi-ton en cent degrés (!), chacun d’eux correspondant à l’accord de la pièce jouée ! C’est au violoncelliste, Jérémy Garbarg, qui se qualifie lui-même de « geek » du groupe, d’élaborer des procédures d’analyse de cette traque de la justesse absolue.
Le programme de cet enregistrement est consacré à deux chefs-d’œuvre incontestés de la musique française, le quatuor de Claude Debussy et celui de Maurice Ravel. Mais ces jeunes musiciens ont choisi d’intercaler entre ces deux emblèmes incontournables la création d’une partition de Benjamin Attahir, compositeur toulousain bien connu de la ville rose et de l’Orchestre national du Capitole qui a créé quelques-unes de ses œuvres. Intitulée Al Asr, cette pièce en cinq volets enchaînés est dédiée au Quatuor Arod dont les membres sont les « merveilleux amis » du compositeur. Al Asr correspond à l’instant de prière musulmane de l’après-midi transcrite dans un langage musical coloré et séduisant. S’ouvrant sur un appel plein d’effervescence et d’inquiétude, l’œuvre enchaîne agitation, mystère, évanescence. Le drame est parfois présent, jusqu’à la fugue finale, comme une fuite de l’angoisse suggérée. Voici une belle découverte brillamment entourée.
La Quatuor de Debussy qui ouvre ce programme est abordé avec un jeu acéré, une dynamique intense et une belle représentation des plans sonores. Les implacable pizzicati du deuxième mouvement sont suivis du mystère intériorisé du troisième, comme une prière teintée d’un certain lyrisme. Le final, d’abord hésitant, puis passionné conclut l’œuvre dans une agitation effervescente.
Le mouvement Modéré, très doux qui ouvre le Quatuor de Ravel se pare d’une certaine inquiétude. La parfaite précision rythmique du deuxième mouvement pizzicato ne masque pas un certain mystère de l’expression. Alors que le rêve imprègne tout le mouvement suivant indiqué Très lent, le final explose quasiment d’une agitation fébrile admirablement tenue par les interprètes.
Avec cet enregistrement magistral, le Quatuor Arod joue vraiment dans la cour des grands.
Serge Chauzy
- Album 1 CD + 1 DVD – ERATO – Enregistré en 2023 – Prix FNAC: 17,99 €
