Les intégrales d’opéras du grand répertoire sont assez peu légion aujourd’hui pour ne pas être attendues avec impatience. C’était le cas de cette Madama Butterfly.
Deux stars de l’art lyrique se partagent l’affiche : Angela Gheorghiu et Jonas Kaufmann.
Si le Pinkerton de ce dernier convainc davantage par l’intensité émotionnelle de son interprétation que par l’adéquation de sa vocalité et de son rôle, on reste un rien plus dubitatif avec la Cio Cio San du soprano roumain.
Si nous nous souvenons bien, la première Butterfly de Giacomo Puccini, à la Scala de Milan, dans la version de 1904, connut un échec plus que cuisant, retirée de l’affiche dès le lendemain de la première ! Bien des raisons à cela, en particulier un livret à remanier. Sur scène, un soprano lyrique léger, Rosina Storchio faisait face à l’un des plus grands Otello de l’Histoire : Zenatello…
La rumeur prétend que Puccini fut victime d’une cabale. Soit.
Trois mois plus tard, plus discrètement, à Brescia et une fois le livret modifié, Zenatello affronte Salomea Krusceniski, soprano dramatique ukrainienne, immense Aïda, Leonora de La Force du Destin sans oublier les plus importants rôles wagnériens et straussiens (Isolde, Brünnhilde, Elektra et Salomé). Excusez du peu ! A la clé 27 rappels et le départ fulgurant de cet ouvrage sur toutes les scènes de la planète. C’est peut être un hasard, mais…
Ce petit rappel historique simplement pour dire que Cio Cio San réclame un soprano de grande envergure, projetant avec puissance un registre d’un large ambitus et parfaitement homogène. L’orchestration de Puccini ne laisse aucun doute sur ce sujet. L’émotion contenue dans cette partition doit trouver son corollaire dans le chant de son rôle principal. Certes Angela Gheorghiu, fine musicienne, nous donne à entendre de beaux moments, en particulier le duo des fleurs, mais là n’est pas Madama Butterfly. La petite japonaise, grandie avant l’heure par la brutalité de l’officier américain, révèle toute sa dimension dans les scènes les plus dramatiques, notamment sa confrontation avec le Consul au 2nd acte et bien sûr tout le final. A ces moments, la voix d’Angela Gheorghiu, sans faire défaut, montre ses limites. L’émotion s’absente, l’intérêt aussi.
La Suzuki d’Enkelejda Shkosa et le Sharpless de Fabio Capitanucci sont honnêtes, sans plus.
Le vrai bonheur vient de la direction très « karajannesque » d’Antonio Pappano. A la tête de l’Orchestre et du Chœur de l’Académie Nationale de Sainte Cécile, il nous donne à entendre une version symphonique d’une beauté à couper le souffle, autant dans la dynamique que dans la recherche des couleurs. C’est lui qui nous transmet toute la violence de ce drame.
Est-ce suffisant ?