Disques

Chostakovitch, l’impressionnante intégrale symphonique

Compositeur, patriote et citoyen soviétique le plus décoré de son pays, Dimitri Chostakovitch a toute sa vie construit une œuvre originale entre soumission aux autorités, résistance feutrée et contestation parfois violente de leur part. Ses mémoires comme sa musique évoquent de manière éloquente la dictature stalinienne avec laquelle il a dû compter. A côté de ses six opéras dont deux restés inachevés, de ses quinze somptueux quatuors à cordes, ses symphonies, quinze également, constituent l’un des corpus orchestraux majeurs du XXème siècle. En voici une intégrale hautement recommandable.
Ce vaste recueil prend ses racines dans le caractère sombre, tragique même, d’une existence hantée par l’idée de la mort. « La plupart de mes symphonies sont des monuments funéraires » écrit Chostakovitch, et également : « Je suis prêt à dédier une œuvre à chacune des victimes ». Certaines de ces partitions illustrent les événements historiques, souvent tragiques, qui balisent la naissance du régime révolutionnaire ou encore les événements dramatiques liés à la deuxième guerre mondiale. Et puis, il y a celles qui évoquent le caractère dictatorial du régime incarné par Staline : la noirceur le dispute souvent à l’ironie amère.

Cette nouvelle intégrale bénéficie des grandes qualités de l’Orchestre philharmonique de Dresde et de la légitimité de Michael Sanderling. Chef d’orchestre et violoncelliste, Michael Sanderling porte un nom célèbre dans le monde des grands chefs du XXème siècle. Son père, Kurt Sanderling, fut notamment l’assistant d’Evgeni Mravinski à la tête de l’Orchestre philharmonique de Leningrad puis dirigea de 1964 à 1967, la prestigieuse Staatskapelle de Dresde. Il connut Chostakovitch.

Michael Sanderling, tout d’abord violoncelliste, fit ses débuts de chef d’orchestre en 2000. Depuis la saison 2011/2012, il occupe le poste de chef principal de l’Orchestre philharmonique de Dresde avec lequel il a donc choisi d’enregistrer cette intégrale Chostakovitch, avec la participation du Chœur national d’hommes d’Estonie (Symphonie n° 13), du Chœur de la Radio MDR de Leipzig (Symphonies n° 2 et n° 3), de Polina Pastirchak, soprano et de Dimitri Ivashenko, basse (Symphonie n° 14), ainsi que de Mikhail Petrenko, basse (Symphonie n° 13).

Le ton « décalé » du compositeur se manifeste dès l’ironie de la trompette dans la 1ère Symphonie. La 2ème (qui s’ouvre sur un murmure inquiétant) et la 3ème, étranges et brèves en un seul mouvement, apparaissent clairement comme des symphonies jumelles de propagande. Elles introduisent un chœur final mais développent néanmoins une écriture pleine de surprises et d’événements inattendus. La 4ème, convulsive, dramatique, sinistre, résonne comme une réaction aux violentes critiques du pouvoir concernant l’opéra Lady Macbeth de Mtsensk. Le compositeur cherche à retrouver la confiance du régime avec sa 5ème symphonie qu’il qualifie de «  réponse pratique d’un artiste soviétique à de justes critiques ». L’ambigüité règne en maître. Sanderling en souligne la noirceur et le désespoir. Même démarche dans la 6ème.

Les monumentales symphonies de guerre, la 7ème, sous-titrée « Leningrad » (tragique évocation du siège de la ville martyr pendant la deuxième guerre mondiale), et la 8ème, officieusement baptisée « Stalingrad », obéissent à un schéma comparable. Elles sont structurées « de la tragédie au triomphe » suivant en cela une démarche comparable à celle de Beethoven dans sa 5ème Symphonie. Elles s’achèvent néanmoins dans un silence glaçant. L’ami de Chostakovitch, Isaak Glikman, a qualifié la 8ème d’« œuvre la plus tragique » du compositeur. La 9ème déconcerta le public et irrita les autorités qui s’attendaient à une célébration fastueuse de la victoire sur l’Allemagne. Le compositeur la qualifie de « … petite pièce très joyeuse. Les musiciens adoreront la jouer, et les critiques se délecteront à la dénigrer » !

La mort de Staline, en 1953, desserre quelque peu l’étau de l’oppression. Chostakovitch semble alors laisser libre cours à sa volonté de commenter l’histoire de son pays. Les 10ème, 11ème (« L’année 1905 ») et 12ème (« L’année 1917 ») résonnent avec une force nouvelle, admirablement soutenue par la direction de Michael Sanderling.

Les numéros 13 et 14 font de nouveau intervenir un chœur en y associant des voix solistes. La Symphonie n° 13 illustre cinq poèmes du jeune Evgueni Evtouchenko. La 14ème met en musique aussi bien Federico Garcia Lorca que Guillaume Apollinaire ou encore Rainer Maria Rilke. Les chanteurs solistes, Mikhail Petrenko, dans la 13ème (Babi Yar), et surtout Polina Pastirchak et Dimitri Ivashenko, dans la 14ème, hantée par la mort, confèrent toute leur intensité expressive aux poèmes chantés.

La 15ème et dernière du cycle symphonique résonne comme une synthèse de l’art du compositeur. Au travers d’un patchwork de citations musicales (Rossini et son inattendue ouverture de Guillaume Tell, Wagner, Glinka, Mahler !) son écriture alterne sarcasme et désespoir, dérision et angoisse.

Tout au long de cette intégrale, Michaël Sanderling manifeste une personnalité qui s’affirme et confère à l’ensemble une vision globale qui en construit l’unité de style. Il privilégie la transparence, le raffinement des timbres instrumentaux, sans en occulter la noirceur, ni le drame. Parfois, il semble prendre quelques distances avec les traditions plus « massive » de traitement de la trame orchestrale et de la noirceur du discours. Les solos instrumentaux, particulièrement présents, bénéficient de la qualité des musiciens qui composent ce magnifique orchestre de Dresde, en outre admirablement enregistré.

Ce coffret de 11 CDs est accompagné d’un livret de 64 pages en anglais et allemand, avec les textes des parties chantées en trois langues : russe, anglais, allemand.

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