Pour le premier spectacle de sa 1ère saison Beate Vollack, directrice de la Danse, nous a proposé la rencontre du baroque et de la modernité avec la « re-création » des premiers grands ballets d’action, nés à Vienne , au XVIIIème siècle, de l’association de Christoph Willibal Gluck et du chorégraphe Gasparo Angiolini et la proposition contemporaine d’Ángel Rodriguez et Edward Clug.
Avant d’entrer dans la danse, Jordi Savall, qui est à la baguette avec son Concert des Nations, nous offre la Suite pour Orchestre d’Iphigénie en Aulide, dans une interprétation comme sait le faire le chef catalan, plongeant le spectateur dans le monde musical de Gluck, comme superbe entrée en matière, et qui se poursuivra tout au long de la soirée.
C’est avec Sémiramis vue par Ángel Rodriguez que la danse s’invite ensuite. Le chorégraphe, ainsi qu’il l’a déclaré, a choisi d’étudier le personnage en le ramenant à notre époque, en parlant de l’essence féminine. Et nous sommes effectivement loin de la figure de la femme guerrière et des mille aventures de sa vie. L’impression que l’on en retire est qu’il n’est nul besoin de chercher un fil rouge qui nous conte une histoire. Ici la danse dessine la musique. Le rideau s’ouvre, dans le silence sur un groupe de danseuses dont seul le haut du corps émerge de ce qui semble être un amas de terre moussue (clin d’œil aux jardins de Babylone ?). Leurs bras semblent lancer des appels que leurs bouches murmurent. Lorsque que la musique résonne, sept danseurs apparaissent sous la toile, qui s’élèvera et se transformera ensuite en rideau de fond de scène que les éclairages particulièrement réussis de Nicolas Fischtel convertiront en tapis somptueux ou forêt rougeoyante selon les moments musicaux et qui s’effondrera à la fin du ballet, précipitant la scène dans le noir et le silence absolus. La chorégraphie est une leçon de maîtrise des ensembles, sans que danseurs et danseuses se mélangent. Suivent ensuite solos, duos ou trios, tous illustrant parfaitement la ligne musicale de Gluck. Le ballet du Capitole fait ici la démonstration de son homogénéité dans les ensembles, de sa musicalité et de sa technique sans faille, répondant en tous points au déroulé de la musique. Dans cette cohésion des ensembles, Ángel Rodriguez a semé quelques belles singularités qui mettent en valeur certaines personnalités chez les danseurs. Comment ne pas souligner la fulgurance d’un Philippe Solano dans ce mini solo qui explose comme un feu d’artifice ; le pas de deux de Kayo Nakasato et Jéremy Leydier empreint de poésie ; Natalia de Froberville rêve évanescent porté par des danseurs. Une œuvre qui, si elle n’apporte pas une forte émotion, demeure esthétiquement très agréable à l’œil.
Sémiramis – Chor. Angel Rodriguez – Natalia de Froberville – ©David Herrero
Sémiramis – Chor. Angel Rodriguez – Philippe Solano – ©David Herrero
Edward Clug, quant à lui, s’attaquait au mythe universel de Don Juan. Si l’on retrouve, tant bien que mal, l’intrigue de l’œuvre littéraire, elle, apparaît comme synthétisée, réduite à une trame bien mince. Certes les principaux protagonistes sont là : Don Juan, Doña Elvira et Sganarelle, mais où est passé Le Commandeur, pourtant deus ex machina dans toutes les œuvres traitant de ce sujet ? Il nous semble pourtant avoir aperçu une silhouette figée et couleur de pierre dans une loge d’avant-scène, mais le manque d’éclairage dont elle a bénéficié ne nous permet pas d’assurer une présence qui n’était peut-être que le fruit d’une imagination frustrée !
Le ballet s’ouvre sur Don Juan, étendu au sol, bras en croix, un demi-cercle de danseurs à ses pieds, qui, au bout de quelques secondes, l’envahissent, comme ivre d’idolâtrie. L’image reviendra avec seulement des danseuses comme une évocation de ses multiples conquêtes féminines (« Ma in Spagna son gia mille e tre » diraient Da Ponte et Mozart). La chorégraphie flirte avec le néo-classique et le contemporain, y ajoutant quelques touches de danse de caractère et de danse baroque. La scénographie, sans grands effets démonstratifs, anime un peu le ballet. Ainsi des claustras, qui ne sont pas sans rappeler les moucharabiés andalous, évoquent, par leurs différents agencements, des lieux particuliers : palais, jardins, salle close. Un immense cheval de pierre, sur lequel paradera puis s’effondrera Don Juan, occupera également le fond de scène. Le corps de ballet, en très grande forme durant toute la soirée, sert à merveille la musique de Gluck et excelle ici aussi dans les ensembles. Soulignons la belle présence de Tiphaine Prévost, jolie fille naïve, et celle de Kayo Nakazato plus « vamp »dans une jolie scène de marivaudage avec Don Juan. Don Juan est interprété ce soir-là par Alexandre De Oliveira Ferreira, beau, arrogant et de plus en plus veule, obsédé par la Femme et les femmes. La technique est toujours belle, la présence sur scène toujours forte, mais il semble que la chorégraphie ne permette pas au danseur de révéler tout son potentiel. Marlen Fuerte© Castro est une Doña Elvira incandescente. La femme trahie, belle telle une statue antique, va peu à peu se transformer en femme dominante, devenant le reflet de l’ombre du Commandeur, rendant ainsi sa présence palpable, malgré son absence voulue par le chorégraphe. Sa danse est toujours aussi musicale et expressive. Quant à Sganarelle, personnage récurrent dans le mythe, il donne à Philippe Solano l’occasion de montrer l’étendue de son expressivité et de sa technique. Prompt à la facétie, pleine d’une verve contagieuse, il réveille l’œuvre dans ce court intermède (trop court !) où il fait face à Don Juan dans un jeu plein de roublardise, dans une technique éblouissante dans les sauts, en particulier.
Don Juan – Chor. Edward Clug – Marlen Fuerte Castro – Alexandre de Oliveira Ferreira – © David Herrero
Don Juan – Chor. Edward Clug – Alexandre de Oliveira Ferreira – ©David Herrero
Une soirée singulière, qui nous laisse une impression étrange. L’hommage à Gluck a été plus rendu à sa musique, qu’à sa conception, révolutionnaire à l’époque, du ballet d’action. Les deux chorégraphes ont joué, à notre sens, plus sur l’esthétisme que sur l’action, nous donnant à voir des mouvements d’ensembles parfaitement maîtrisés et de belle facture, au détriment de danses plus individuelles.
Annie RODRIGUEZ