Le 27 septembre dernier marquait l’ouverture de la saison 2025-2026 de l’Orchestre national du Capitole. Placée sous la baguette de son directeur musical « à part entière », Tarmo Peltokoski, la phalange symphonique toulousaine abordait une partition hors normes, la Turangalîla-Symphonie d’Olivier Messiaen qui constitue en soi un véritable événement tant elle possède un impact prodigieux en concert. L’accueil enthousiaste du public d’une Halle aux Grains pleine à craquer a salué avec ferveur l’exceptionnelle performance.
En ouverture de soirée, nous apprenons néanmoins une double mauvaise nouvelle. Jean-Sébastien Borsarello, timbalier solo de l’ONCT et également pianiste, vient annoncer les disparitions récentes de deux personnalités très liées à l’orchestre. Il s’agit de Jean-Louis Homs, ancien cor anglais solo et Laurent Grégoire, le président et animateur des Clefs de Saint-Pierre, cette belle association qui organise des concerts de musique de chambre par les musiciens de l’orchestre. Le concert de cette soirée est donc dédié à ces deux personnalités.
Dans cette Turangalîla-Symphonie ainsi dédiée, la formation orchestrale dépasse la centaine de musiciens. Elle reçoit en particulier un supplément de cordes (dont une dizaine de contrebasses) et un vaste pupitre d’une douzaine de percussionnistes !
Ce soir-là, deux solistes aux rôles importants ont rejoint l’orchestre : le grand pianiste toulousain Bertrand Chamayou et la spécialiste des ondes Martinot, Cécile Lartigau.

– Photo Classictoulouse
Rappelons que cette œuvre impressionnante fut l’objet, en 1945, d’une commande du chef de l’Orchestre Symphonique de Boston, Serge Koussevitzky. Rarement un créateur aura eu une telle liberté compositionnelle. Koussevitzky accompagna en effet sa commande de la recommandation suivante : « Faites-moi l’œuvre que vous voulez, dans le style que vous voulez, avec la composition instrumentale que vous voulez… » Messiaen prit au mot le commanditaire et composa une fresque d’une envergure exceptionnelle.
Les dix mouvements qui se succèdent explorent toutes les combinaisons orchestrales possibles. Tout au long de l’œuvre apparaissent des thèmes cycliques que l’on retrouve comme des leitmotivs et qui illustrent une poésie pleine de symboles. Le « thème-statue » et le « thème amour » sont exposés dès la première partie. Ils reparaissent périodiquement soit identiques à eux-mêmes soit modifiés.
La direction précise et passionnées de Tarmo Peltokoski obtient le meilleur de ses musiciens. Les équilibres sonores entre les différents pupitres et entre le tutti orchestral et les solistes s’avèrent particulièrement soignés. Aux grands tsunamis dévastateurs des épisodes dynamiques succèdent de purs moments de bonheur intime. C’est le cas du Jardin du sommeil d’amour qui évoque « deux amants enfermés dans le sommeil de l’amour » comme l’évoque le compositeur lui-même. Quelques solos instrumentaux, notamment clarinette, hautbois, flûte, apportent un souffle d’émotion incroyable.

La contribution des deux principaux solistes atteint les plus hauts niveaux. Le piano de Bertrand Chamayou assume avec panache le défi lancé par Messiaen lui-même qui qualifie sa partition : « …d’une extrême difficulté, destinée à « diamanter » l’orchestre de traits brillants, de grappes d’accords, de chants d’oiseaux ». L’interprète semble appliquer à la lettre ces recommandations. Son jeu se déploie dans une gamme infinie de nuances, du toucher le plus percussif aux nuances les plus subtiles.
Aux ondes Martenot, Cécile Lartigau explore toutes les possibilités de cet instrument magique. Du murmure intégré aux couleurs de l’orchestre à l’intensité de son chant, lyrique comme une voix humaine, toutes les possibilités expressives passent la barrière des tutti.

Il faut également féliciter les autres solistes, notamment Inessa Lecourt au célesta, ainsi que les multiples interventions des percussionnistes, particulièrement actifs tout au long de cette exécution mémorable.
On admire enfin l’enthousiasme créatif du chef, Tarmo Peltokoski, la précision de sa direction et son implication sans limite dans ce maelstrom d’impressions et de couleurs.
A coup sûr, la saison de l’Orchestre national du Capitole ne pouvait mieux débuter !
Serge Chauzy