Le concert du 30 octobre dernier donné par l’Orchestre national du Capitole a enthousiasmé un public nombreux et conquis. Franck Beermann dirigeait l’orchestre et le grand pianiste toulousain Adam Laloum en était le soliste. De Johannes Brahms à Ralph Vaughan Williams, le programme avait été maintenu malgré le changement des deux principaux interprètes.
Rappelons que Tarmo Peltokoski, le directeur musical de l’Orchestre national du Capitole devait diriger ce concert et le jeune pianiste finno-cubain Anton Mejias était programmé pour en être le soliste. Comme l’indique en début de soirée Jean-Baptiste Fra, le délégué général de l’Orchestre, Tarmo Peltokoski, souffrant, a dû annuler toutes ses interventions. De son côté, Anton Mejias a également dû se retirer à la suite d’un décès familial. Cruelle loi des séries, Yuja Wang, qui devait participer au concert du 5 novembre prochain, a fait une chute et s’est blessée à la main ! Elle sera donc remplacée par le jeune pianiste russe Roman Borisov, alors que le chef Roy Bancroft dirigera le concert. Comme l’indique avec raison Jean-Baptiste Fra, nous pouvons nous réjouir de la qualité des artistes qui ont accepté le défi de remplacer les personnalités empêchées !

La soirée du 30 octobre s’ouvre sur le Concerto pour piano n° 1 en ré mineur du jeune Johannes Brahms. On sait que la tentative de suicide de Robert Schumann, le mentor de Brahms, a en partie inspiré cette œuvre d’une vaste envergure. L’introduction orchestrale, héroïque et tempétueuse, du Maestoso initial est dirigée par Frank Beermann avec une intensité et une énergie irrésistibles. L’entrée du piano d’Adam Laloum canalise cette violence dans un dialogue touchant avec l’orchestre. Son jeu se fait alternativement épique, transparent, sensible. L’inquiétude et la révolte y tiennent une place importante.
Les tourments du premier volet sont suivis du calme relatif de l’Adagio. Les échanges entre le piano et l’orchestre prennent l’allure d’une profonde confidence. Ce mouvement central, ainsi abordé, constitue peut-être le sommet expressif de cette exécution. Le piano d’Adam Laloum, comme par magie, se réfugie jusqu’aux confins du silence. L’émotion est à son comble.

Le Rondo final résonne comme une libération. La fluidité du jeu du pianiste dialogue d’égal à égal avec un orchestre effervescent. La conclusion pleine de fougue déclenche une ovation unanime de l’ensemble du public. Adam Laloum ne se fait pas prier pour offrir un bis vivifiant : il s’agit d’un extrait du Scherzo de la 21ème et ultime sonate pour piano en si bémol majeur, D. 960, de Franz Schubert.
La seconde partie du concert est celle de la découverte de la Symphonie n° 7 dite « Antartica », du compositeur britannique Ralph Vaughan Williams. Un grand musicien peu joué en France dont Tarmo Peltokoski souhaite donner l’intégrale des 9 symphonies à la Halle aux Grains à la tête de l’Orchestre national du Capitole. Rappelons que cette 7ème Symphonie fut d’abord l’objet d’une commande pour le film L’Épopée du capitaine Scott (sorti en 1948). Ce film relate l’épopée de cette expédition à l’issue de laquelle les cinq explorateurs périrent de faim et de froid. Le sujet inspira tant Vaughan Williams qu’il décida de retravailler la composition de sa musique de film pour en faire sa 7ème Symphonie.

– Photo Classictoulouse
L’œuvre est conçue pour un grand orchestre ainsi qu’un chœur de femmes, une soprano soliste, un ensemble d’instruments à clavier (piano, célesta, orgue) et un riche pupitre de percussions, incluant un éoliphone, couramment appelé machine à vent. Le Chœur d’État de Lettonie « Latvija » dirigé par Māris Sirmais, composé de douze chanteuses, et la soprano Tereze Gretere interviennent aux premier et dernier des cinq mouvements de l’œuvre. Les voix sans parole introduisent une atmosphère étrange et irréelle dans le déroulement du drame. En outre, à l’image de ce qu’avait réalisé Antonio Vivaldi dans ses Quatre Saisons quelques siècles plus tôt, chaque mouvement est accompagné d’un poème, d’un psaume biblique, ou d’un extrait du journal du Capitaine Scott. Autant de textes fort judicieusement intégrés dans le programme de salle.
Frank Beermann s’empare de cette œuvre avec une énergie et une conviction impressionnantes. L’angoisse d’une catastrophe se manifeste dès les premières mesures du Prélude. La richesse de l’orchestration, le déploiement de couleurs contrastées sont habilement soulignés tout au long de l’œuvre par la direction et le jeu des musiciens. Un lyrisme sensible anime le Scherzo alors qu’une mystérieuse inquiétude imprègne le Landscape : Lento. Une certaine détente se manifeste dans le 4ème mouvement Intermezzo : Andante sostenuto. Jusqu’à la conclusion à laquelle les voix féminines confèrent une étrange sérénité vers le silence des grands espaces glacés.

Ce silence se prolonge jusqu’à la réaction enthousiaste du public, manifestement conquis. Le chef est rappelé de nombreuses fois et les musiciens lui adressent ostensiblement leurs remerciements. Des remerciements réciproques largement adressés par Frank Beermann à chaque pupitre, à chaque soliste, à chaque instrumentiste.
La soirée a vraiment tenu ses promesses !
Serge Chauzy

