Pour le dernier concert de sa saison, le 28 mai dernier, l’association Les Grands Interprètes a invité l’une des plus prestigieuses phalanges symphoniques de la scène internationale, l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde. Deux personnalités musicales bien connues et appréciées des Toulousains ont rejoint cette vénérable institution : le chef Tugan Sokhiev et la violoncelliste Sol Gabetta.
C’est à l’issue d’une longue tournée à travers l’Europe que cette valeureuse équipe a donné à Toulouse son ultime concert associant la révolte permanente de Dmitri Chostakovitch aux coulées de lave incandescente d’Anton Bruckner. Tugan Sokhiev, qu’il n’est plus nécessaire de présenter à Toulouse où il a dirigé l’Orchestre national du Capitole pendant près de dix-sept ans, est acclamé dès son entrée sur le plateau de la Halle aux Grains. En outre, le chef ossète entretient avec la Staatskapelle une relation fusionnelle qui transparaît à l’évidence tout au long de ce concert.
Dès l’installation des musiciens sur le plateau de la Halle, on observe que la disposition des pupitres de l’Orchestre allemand diffère nettement de celle des phalanges occidentales, en particulier pour les sections de cordes. Si les premiers violons se répartissent toujours à la gauche du podium du chef, les seconds violons occupent l’espace symétrique à sa droite. Les violoncelles et les altos sont disposés de gauche à droite entre les deux sections de violons et les contrebasses sont regroupées à la gauche du plateau derrière les premiers violons.

– Photo Classictoulouse –
Tout au long de cette belle soirée musicale, le grand son de l’orchestre, d’une exceptionnelle profondeur, impressionne. Une autre beauté sonore caractérise le jeu de la soliste dans la première œuvre inscrite au programme, le Concerto n°1 pour violoncelle et orchestre, opus 107 de Dmitri Chostakovitch. Une œuvre forte créé à Léningrad en 1959 par son dédicataire et inspirateur, Mstislav Rostropovitch. C’est avec une sorte d’intensité caustique que Sol Gabetta lance les quatre notes du thème d’ouverture que l’on retrouvera tout au long de l’œuvre. Tout cet Allegretto initial mêle énergie et désespoir. Une complicité exemplaire s’établit entre l’orchestre et la soliste. Les interventions stratégiques du cor solo, qui se poursuivent dans les autres sections, impressionnent par leur justesse et leur intensité expressive.
Le dialogue méditatif qui ouvre le Moderato évolue vers une étrange berceuse d’une noirceur tragique. Dans le mouvement suivant, qui n’est en fait qu’une vaste Cadenza déclamée par le violoncelle solo, Sol Gabetta atteint des sommets de virtuosité au service d’une profonde expression de désespoir. L’émotion est à son comble. L’enchaînement direct avec le final Allegro con moto conduit à l’une de ces ambigüités expressives dont le compositeur possède le secret. L’utilisation de motifs populaires pour complaire aux autorités se transforme en une caricature presque grotesque que la soliste s’approprie avec force.
L’ovation que reçoit cette interprétation exemplaire obtient un bis nettement plus apaisé. Il s’agit de la Chanson Populaire Espagnole N° 5 : Nana, de Manuel de Falla, dans laquelle le chant du violoncelle est ponctué de quelques notes de célesta. Une profonde respiration appréciée de tous !

– Photo Classictoulouse –
La seconde partie de la soirée est consacrée à la plus populaire des cathédrales sonores d’Anton Bruckner, sa Septième symphonie en mi majeur, WAB 107, dans laquelle s’exprime avec ferveur le mysticisme exacerbé du compositeur. Sous la direction attentive et sensible de Tugan Sokhiev le doux trémolo des cordes (ce fameux Urnebel : brouillard des origines) ouvre l’œuvre dans une atmosphère de mystère. L’association des timbres instrumentaux (en particulier cors et violoncelles), si intensément liée aux qualités de la Staatskapelle, joue un rôle déterminant dans l’élan chaleureux de cet Allegro moderato initial. La plénitude sonore du second volet Adagio : sehr feierlich und sehr langsam (très solennel et très lent) nourrit un chant mystique dédié à Richard Wagner dont le compositeur vient d’apprendre le décès. L’introduction des fameux Tuben, ces instruments hybrides (synthèse de cor et de tuba) inventés par Wagner apporte une touche émouvante de mystère et de solennité. L’impressionnante coda qui conclut ce mouvement atteint ici un paroxysme proprement explosif.

Le Scherzo : sehr schnell (très rapide) produit un contraste étonnant. Le joyeux thème initial entonné par les cuivres évoquerait, d’après Bruckner lui-même, les cris des coqs qui le réveillaient à l’abbaye de Saint-Florian où il faisait ses études ! Ce thème obsédant est habilement développé par la vivacité de la direction. L’Orchestre et leur chef impriment au Finale : bewegt, doch nicht schnell (animé mais pas rapide) une joie souriante, une ferveur ardente qui s’expriment clairement dans le développement du choral, comme outil caractéristique de l’organiste que n’a cessé d’être Anton Bruckner.

La parfaite adéquation de l’interprétation à l’ensemble de l’œuvre donne l’impression que cette partition a été composée pour cet orchestre ! Ce qui n’est pourtant pas le cas puisqu’elle a été créée à Leipzig.
Comme en témoigne la longue ovation qui prolonge cette belle soirée, ce concert de clôture marquera profondément la saison des Grands Interprètes.
Serge Chauzy
Programme du concert
- D. Chostakovitch : Concerto n°1 pour violoncelle et orchestre, opus 107
- A. Bruckner : Symphonie n°7, A 109