Le retour à Toulouse, dans le cadre de la saison des Grands Interprètes, de la pianiste franco-géorgienne a mobilisé un public nombreux ce 18 mars dernier dans une Halle aux Grains pleine à craquer. Un programme particulièrement ouvert et contrasté, un engagement permanent de l’interprète ont caractérisé ce récital hors du commun accueilli avec enthousiasme par un auditoire visiblement conquis.
Les conditions de déroulement de ce concert se sont avérées particulières. Khatia Buniatishvili a souhaité que le programme soit donné sans entracte. Elle a ainsi occupé en permanence le plateau de la Halle, sans retour vers les coulisses entre les œuvres. L’alternance des partitions abordées a permis de tisser des liens particuliers entre elles. Le jeu d’une impressionnante virtuosité de l’interprète a donné lieu à quelques grands moments d’émotion alternant avec quelques passages surprenants.
Les Quatre impromptus de l’opus 90 de Franz Schubert ouvrent la soirée. Le n° 1 en ut mineur émerge du silence dans un murmure à peine audible. Si les n° 2 et n° 4 n’échappent pas à une certaine agitation un peu brouillonne, le n° 3 en sol bémol majeur émeut par l’intensité de son expression. L’un des grands moments de cet épisode Schubert.

La Sonate n° 2 de Frédéric Chopin, célèbre pour sa fameuse Marche funèbre, connaît ensuite une exécution animée. La pianiste aborde les deux premiers mouvements avec une rage étonnante. C’est dans le Lento de la Marche funèbre que s’exprime au plus haut point l’intensité expressive de l’interprète. La succession des nuances mises en œuvre transcende le texte musical. Le foudroyant Presto final résonne avec une ardeur chaleureuse.
Le contraste avec la fameuse Sonate n° 16 en ut majeur, dite « Facile », de Mozart n’est pas mince. La candeur qui s’y manifeste n’est pas loin d’évoquer les moments d’apprentissage de tout débutant au piano ! Khatia Buniatishvili adopte un tempo presque vertigineux dans l’Allegro initial. Dans l’Andante central, l’interprète exprime une tendresse touchante. L’émotion ne saurait mieux s’imposer. Le Rondo final se conclut ici dans un tel recueillement que l’interprète l’enchaîne de manière inattendue avec la Ballade n° 4 en fa mineur de Chopin.
Etrangement la transition paraît toute naturelle. Dans cette page d’une prodigieuse densité harmonique, l’interprète s’investit totalement, de la rêverie au délire. Les éclats colorés, l’extrême dynamique de l’écriture sont ici explorés comme s’il s’agissait d’une improvisation.
Enfin, la Méphisto Valse n° 1 de Franz Liszt conclut ce programme particulièrement exigeant. Khatia Buniatishvili en souligne le caractère diabolique. Pianiste des extrêmes, elle fait exploser ces déluges d’accords et de notes, ces phrases virtuoses avec une jouissance visible.

L’accueil enthousiaste du public obtient deux bis de caractères bien différents. La pianiste joue d’abord la transcription de Bach pour le clavier de l’Adagio du concerto pour hautbois de Benedetto Marcello. Une pause apaisée dans la course virtuose. Elle déploie ensuite l’énergie frénétique de la Rhapsodie hongroise n° 6, de Franz Liszt. Nouvelle ovation qui conclut ce concert haut en couleurs.
En plus petit comité, après la fin de sa prestation officielle, la musicienne prolonge encore sa familiarité fusionnelle avec l’instrument de sa vie. Elle utilise le clavier de manière abracadabrantesque en jouant couchée sur le dos sur son tabouret…
Serge Chauzy
Programme du concert :
F. SCHUBERT : Quatre Impromptus, opus 90, D. 899
F. CHOPIN : Sonate n°2 en si bémol mineur, opus 35
W. A. MOZART : Sonate en ut majeur dite « facile », K. 545
F. CHOPIN : Ballade n°4 en fa mineur, opus 52
F. LISZT : Mephisto-valse n°1 S.514