Décidemment, les Clefs de Saint-Pierre nous ouvrent des horizons privilégiés ! Le 8 octobre dernier, six musiciens formidablement motivés plongeaient le public de l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines dans les délices fin de siècle de ce que la musique française a produit de plus intense et de plus chaleureux. Le fameux Quintette pour piano et cordes de César Franck et le tout aussi célèbre Concert pour piano, violon et quatuor à cordes d’Ernest Chausson n’en sont pas pour autant fréquemment joués en concert. Il fallait donc absolument être présent ce soir-là.
Cinq musiciens de l’Orchestre National du Capitole, les trois jeunes violonistes, Eugen Tichindeleanu, Sébastien Plancade et Stéphane Guiocheau, l’altise Bruno Dubarry et le violoncelliste Vincent Pouchet, sont rejoints pour ce programme par le pianiste Dominique Plancade, frère du violoniste, dont la carrière prend un bel essor largement mérité. Comme cela se remarque régulièrement dans ces soirées musicales conviviales, la pratique régulière de l’orchestre confère aux exécutions de ces artistes une cohésion stupéfiante. L’exigence de la musique de chambre au plus haut niveau ne s’accommode pas d’une simple cohabitation d’individualités, aussi douées soit-elles. Et douées, elles le sont toutes, incontestablement. Le lien reste l’élément indispensable. Et c’est peu de dire que ce lien fonctionne ici de la plus belle manière. Présenté avec spontanéité et humour par Eugen Tichindeleanu, le programme réunit deux sommets de la production française de musique de chambre.

Les musiciens des Clefs de Saint-Pierre pour le Quintette de César Franck :

Eugen Tichindeleanu et Sébastien Plancade, violons, Bruno Dubarry, alto,

Vincent Pouchet, violoncelle et Dominique Plancade, piano – Photo Classictoulouse –

Dès les premières mesures du sombre Quintette de Franck, un frisson parcourt l’assistance. Comme des nuages qui s’accumulent tout au long du Molto moderato quasi lento, les événements musicaux se multiplient, les thèmes circulent, l’inquiétude pointe, ponctuée de ces élans pathétiques qui percent le cœur. La technique transcendée par l’expression. Le Lento con molto sentimento s’ouvre sur une phrase bouleversante que le premier violon (merveilleux Eugen Tichindeleanu) charge d’une fêlure voilée. Quel touchant développement tout imprégné d’une profonde et terrible nostalgie, comme celle du « souvenir d’un être cher » ! L’Allegro ma non troppo, ma non fuoco final, fébrile, ardent, se déroule comme une course à l’abîme. Le grand lyrisme de Franck nourrit cette interprétation passionnante et passionnée.

La formation du Concert de Chausson : Eugen Tichindeleanu,Sébastien Plancade et Stéphane Guiocheau, violons, Bruno Dubarry, alto,
Vincent Pouchet, violoncelle et Dominique Plancade, piano – Photo Classictoulouse –

La structure instrumentale du Concert pour piano, violon et quatuor à cordes fait de cette œuvre riche et imaginative une partition unique. Le quatuor à cordes sonne comme le substitut intime d’un orchestre qui accompagnerait un double concerto pour piano et violon. Les interprètes jouent le jeu d’une discussion entre amis, d’un dialogue permanent fait d’échanges, de répliques, de provocations. La fluidité du toucher de Dominique Plancade, en réponse au soutien chaleureux des cordes, fait ici des merveilles. L’emblématique Sicilienne, balancement sensuel, s’écoule à la manière d’une respiration. L’élégance des phrasés imaginés par le violon d’Eugen Tichindeleanu pare son lyrisme d’une douceur impalpable. Comme dans le Lento du Quintette de Franck, une ombre plane sur le troisième mouvement, Grave, qui s’achève sur la menace d’un implacable crescendo. Dans le final, Très animé, le désespoir initial conduit à l’explosion d’une ardeur enthousiaste.

L’ovation que le public leur réserve est à l’image du bonheur de jouer ensemble qui émane des interprètes. Les regards échangés, les sourires complices, la communication permanente qu’ils établissent font de leur jeu (le mot est à prendre dans ses deux sens !) celui d’un véritable ensemble. Bref, de l’authentique musique de chambre, nourrie du feu sacré de l’émotion !

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