Chaque invitation, par l’association Les Grands Interprètes, de l’Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg représente toujours un événement musical important. Au fil des concerts, l’évolution de la prestigieuse formation se révèle significative. La soirée du 12 mars témoigne à l’évidence d’un rajeunissement certain de l’ensemble de la phalange. De nouveaux talents émergent des rangs de chaque pupitre. L’avenir est assuré !
La prestation de l’orchestre, sous la direction (et non sous la baguette qu’il semble, cette fois, avoir abandonnée) du charismatique Valery Gergiev, s’apprécie avant tout en terme de sonorité exceptionnelle. Obéissant en cela à la caractéristique générale des grands orchestres russes, l’ensemble résonne dans les tonalités les plus sombres de la palette des timbres instrumentaux. Les couleurs mordorées, la profondeur des équilibres entre pupitres, le soutien du son assurent à la fois une densité incroyable, une étonnante homogénéité, mais aussi, paradoxalement, une mise en valeur de chaque intervention soliste.
Valery Gergiev et l’Orchestre du Théâtre Mariinsky, àl’issue du concert toulousain
– Photo Classictoulouse –
Les deux compositeurs inscrits au programme du concert toulousain, Dimitri Chostakovitch et Gustav Mahler, bénéficient de ces qualités sonores. Sous-titrée « L’année 1917 », la 12ème symphonie de Chostakovitch, œuvre de commande et de circonstance a été conçue à la gloire de Lénine et de la « Grande Révolution d’Octobre ». Les convictions politiques du compositeur ayant été, depuis cet événement historique, sérieusement émoussée par les persécutions dont il fut victime, on aurait pu s’attendre à retrouver ici ce sens subtil de l’ambigüité ou de la caricature qui accompagne souvent ses œuvres et permet une lecture au deuxième degré. Il n’en est rien ici. Néanmoins, ce premier degré assumé ne masque en rien les qualités d’une écriture symphonique forte et intense qui réunit en un bloc enchaîné les quatre parties qui le composent. Le thème initial du Moderato (« Pétrograd Révolutionnaire ») aux cordes graves à l’unisson a de quoi impressionner. La densité de ces pupitres coupe le souffle, tout autant que la fulgurance des accélérations de ce premier volet. Valery Gergiev met dramatiquement en scène l’Adagio méditatif de « Rasliv » (du nom de la localité où Lénine résidait clandestinement, et d’où il commanda toutes ses opérations pendant la révolution), et l’inquiétant crescendo menant à l’explosion des assauts du croiseur « Aurora ». Enfin, avec « L’Aube de l’Humanité » revient la lumière. Le lyrisme monumental de cette conclusion héroïque ne saurait trouver meilleur défenseur que cet orchestre et ce chef également imprégnés d’une musique qui coule dans leur veine. Un grand bravo au premier trombone pour son somptueux et stratégique solo.
Avec la 5ème symphonie de Mahler, le propos est bien différent. La richesse du discours comme celle de l’orchestration, en font, comme souvent dans les grandes pièces symphoniques du compositeur, un œuvre de musique de chambre pour grand orchestre. L’ouverture, dramatique et inquiétante, du premier volet surprend toujours par son dénuement. Une responsabilité immense pèse sur les épaules du trompette solo, plus seul que jamais. Le soliste de la phalange russe assume crânement ce rôle. Son intervention donne le frisson. Les cinq mouvements de l’œuvre se succèdent dans la vision forte, presque expressionniste, d’un Valery Gergiev tendu et présent sur tous les fronts. Les contrastes du premier mouvement, l’agitation orageuse du deuxième, les jeux si mobiles et éclatés du Scherzo, l’ascension mouvementée vers la lumière du final reçoivent leur plein d’adrénaline. Un seul petit regret, l’excès d’opulence du fameux Adagietto. Henri Louis de la Grange a si bien caractérisé l’ineffable nostalgie de cette écriture, « comme si chaque note hésitait à redescendre pour reprendre sa place dans l’accord parfait ». Trop d’intensité, trop de son, trop de vibrato éveillent de ce rêve hors du temps suspendu !
Légitimement acclamée, la grande formation russe, en provenance de Lyon, va repartir vers d’autres cieux, vers de nouvelles aventures…