La Salle Bleue de l’Espace Croix Baragnon accueillait, le 5 mars dernier, les jeunes musiciens du trio Karénine, fondé en 2009 et composé de Anna Göckel, violon, Louis Rodde, violoncelle et Paloma Kouider, piano. Ces trois personnalités, déjà accomplies, s’investissent dans le grand répertoire romantique qui voit la floraison de partitions emblématiques.
Le Trio Karénine à la Salle Bleue de l’Espace Croix Baragnon – Photo Classictoulouse –
Quel bonheur d’assister à l’émergence de talents nouveaux et admirables, particulièrement dans le domaine si exigeant et si révélateur de la musique de chambre ! Voici trois artistes passionnés de littérature, comme en témoigne le nom qu’ils se sont choisis, qui combinent respect des partitions et ardeur gourmande. Titulaires de prix prestigieux, ils fondent leur association sur l’aspiration de ce répertoire à réunir des personnalités musicales avec leurs spécificités propres sous la même bannière, dans un double souci de complémentarité et de cohésion. Une cohésion qui s’impose d’elle-même dès les premières mesures déclamées par cette jeune formation. Tout au long du concert, les échanges, le partage procèdent d’une profonde unité, d’une précision parfaite, d’un accord idéal des sonorités.
Les premières mesures du Trio n° 1 en ré mineur de Felix Mendelssohn qui ouvre cette fin d’après-midi, donnent d’abord la parole au violoncelle. Louis Rodde y déploie une générosité que l’ampleur de sa sonorité rend irrésistible. Rejoint par le piano énergique de Paloma Kouider et le lyrisme du violon d’Anna Göckel, ce Molto Allegro agitato se construit sur un schéma expressif particulièrement convaincant. Après un Andante touchant et paisible, le Scherzo pétille comme du vif argent : course poursuite parfaitement réglée, teintée de fantastique à l’image du Songe d’une nuit d’été du même Mendelssohn. Le brillant Finale explose dans une joie de vivre, un optimisme qui s’imposent à tous : interprètes et public !
Les membres du trio Karénine. De gauche à droite : Anna Göckel, violon, Louis Rodde, violoncelle, Paloma Kouider, piano – Photo Classictoulouse –
Au cœur du romantisme musical, le Trio en ré mineur de Schumann réunit toutes les qualités musicales du compositeur : imagination, fantaisie de l’écriture, succession d’atmosphères diverses et parfois opposées, ferveur expressive… Les interprètes s’emparent du thème d’ouverture du 1er mouvement, tempête et énergie, avec une fougue communicative. Les alternances de rêverie et de passion (comme le noterait Berlioz…), la mobilité des expressions n’affectent jamais la précision ni la cohésion du jeu des musiciens qui échangent des regards complices et semblent respirer d’un même élan. Le Scherzo, noté par Schumann « Lebhaft noch nicht zu rasch » (Animé mais pas trop rapide) prend ici l’allure fantastique d’une course inquiétante. Comme un lied éploré, le 3ème mouvement concentre toute l’émotion d’une complainte. Le violon s’y épanche avec gravité, suivi par le violoncelle consolateur et soutenu par les ponctuations chaleureuses du piano. C’est enfin sur un Final éblouissant que se conclut l’œuvre. Les interprètes savent prendre au pied de la lettre le titre « Mit Feuer » (Avec feu) que lui donne Schumann. Comme un lever de soleil, le thème initial dissipe les angoisses et les doutes. Ce motif ardent parcourt tout le mouvement jusqu’à la coda qui libère un enthousiasme irrésistible. L’œuvre s’achève sur un crescendo qui met véritablement le feu « jusqu’au brasier final ».
Acclamé par le public de la Salle Bleue, le Trio Karénine rejoue avec le même plaisir évident le Scherzo du trio de Mendelssohn. Une belle carrière s’annonce pour ces musiciens attachants.