Le 22 mars, la deuxième soirée des Grands Interprètes, offerte aux Toulousains par la Philharmonie de Rotterdam, revêtait un caractère exceptionnel. En effet, au très bel orchestre néerlandais, dirigé par Yannick Nézet-Séguin, était associé le chœur toulousain Archipels, dirigé par Joël Suhubiette. Les deux phalanges réunies donnaient enfin à entendre le rarissime ballet complet Daphnis et Chloé, de Maurice Ravel.
La version originale de ce chef-d’œuvre incomparable, composé pour les Ballets Russes de Serge de Diaghilev, associe en effet un chœur sans parole à l’orchestre richement pourvu. Si les deux suites pour orchestre seul que Ravel a tirées du ballet apparaissent assez souvent au programme des concerts, la seconde étant, de toute évidence, la favorite du grand public, la version complète avec chœur reste l’exception. Un grand merci donc aux organisateurs et aux artistes responsables de cette soirée du 22 mars.
Le Rotterdam Philharmonic Orchestra, dirigé par Yannick Nézet-Séguin, avec la participation du chœur Archipels
– Photo Classictoulouse –
Les fameuses trois esquisses symphoniques de Claude Debussy, autrement dit La Mer, ouvrent le concert. On retrouve avec bonheur les qualités de finesse et de couleurs de cet orchestre que Yannick Nézet-Séguin dirige avec tendresse et fermeté. Suscitant de saisissants contrastes, le chef développe là une vision pointilliste de ce triptyque pictural. Le jour naît du silence, la lumière apparaît très progressivement pour éclairer un paysage marin mouvant et subtil. Le chef conçoit l’œuvre comme une succession de détails enchaînés, comme si le tableau complet était le résultat d’une juxtaposition de miniatures spécifiques. Jeux de vagues, le deuxième volet, danse avec finesse. Enfin, la tempête du Dialogue du vent et de la mer, éclate avec une sauvagerie bienvenue, éclaboussant l’espace de lumière.
La vaste partition de Daphnis et Chloé occupe toute la seconde partie du concert. Dès l’introduction pianissimo, la fusion magique des voix murmurées et des instruments donne le frisson. Un événement musical est en train de naître ! Les harmonies, les rythmes, les étranges modulations, leurs évolutions mouvantes composent une matière musicale d’une fluidité qui en nourrit la poésie sonore. Yannick Nézet-Séguin, qui dirige tout le concert sans partition, s’investit dans chaque détail, ménage chaque intervention instrumentale ou vocale sans délaisser un seul instant la continuité de la grande ligne. Tout cela respire et vit de manière intense et poétique. Le chef est idéalement suivi de chaque musicien, de chaque pupitre. Arpèges impeccables jusqu’au suraigu du cor solo, chorals imposants des trombones, chaleureuses interventions des hautbois, des bassons, des clarinettes dont les timbres se combinent, se complètent si joliment. Et bien sûr, un grand bravo doit être adressé à la flûtiste solo pour son évocation poétique du fameux lever du jour, pièce emblématique de toute la partition. Le pléthorique pupitre de percussions fait également des merveilles. Du triangle à l’éoliphone, cette étrange machine à vent aux apparitions fantomatiques, des gongs à la grosse caisse, des crotales au tam-tam, chacun contribue à la richesse picturale des tableaux mouvants qui se succèdent. Le chœur Archipels, préparé par Joël Suhubiette, s’acquitte enfin avec professionnalisme, exactitude et finesse de sa tâche délicate. Saluons une fois encore la belle intégration des voix à la matière orchestrale sans hiatus aucun. La Bacchanale finale, éblouissante, enivrante, conclut cette soirée et ces deux jours de musique, dans la joie retrouvée.