Concerts

Venise sur Garonne : l’apothéose de la polyphonie

Composé autour des fameuses Symphoniae Sacrae de Giovanni Gabrieli, le programme du concert du 20 février dernier, imaginé par Les Sacqueboutiers, en collaboration avec le Conservatoire de Toulouse, plonge au cœur de la Renaissance vénitienne. Les grands musiciens professionnels, spécialistes de ce somptueux répertoire, ont été rejoints pour l’occasion par de jeunes instrumentistes des Conservatoires de Toulouse et de Lyon, ainsi que par un groupe de membres éminents de l’Orchestre National du Capitole, eux aussi curieux et passionnés de ces musiques qualifiées d’« anciennes ».
Les somptueuses canzoni de Giovanni Gabrieli constituent l’épine dorsale de ce luxueux programme. Près de trente musiciens participent ainsi à cette ambitieuse résurrection, dans des conditions qui approchent celles qui prévalaient en la Sérénissime. Certes, l’excellente acoustique de l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines reste encore éloignée de celle, particulièrement sonore et résonnante, de Saint-Marc de Venise. En outre, l’architecture de la belle salle toulousaine ne permet pas le même éloignement entre les chœurs d’instruments. Néanmoins, la spatialisation, plus exactement la mise en espace, des chœurs d’instruments, constitutive de la musique composée pour ces occasions festives, joue à plein.

Les sacqueboutes et les cornetti, base de l’instrumentarium.
De gauche à droite :

Jean-Pierre Canihac, Lluis Coll i Truls (cornetti), Aymeric Fournès (sacqueboute),

Yasuko Bouvard (orgue) , Fabien Dornic,
Daniel Lassalle (sacqueboutes) et

Marie Garnier-Marzullo
(cornetto) – Photo Classictoulouse –

La soirée s’ouvre sur la flamboyante Improvisation sur une basse de trompette de Cesare Bendinelli, jouée par deux groupes de cuivres occupant judicieusement les deux voûtes de l’auditorium. Trompettes naturelles et sacqueboutes échangent leurs échos dorés dans une débauche rutilante. On remarque la participation à l’événement du trompette solo de l’Orchestre National du Capitole, Hugo Blacher.

L’essentiel des pièces présentées provient donc du splendide recueil des Symphoniae Sacrae de Giovanni Gabrieli. A deux, trois, quatre ou même cinq chœurs, les dialogues musicaux se succèdent sous les directions alternées de Jean-Pierre Canihac, l’animateur de l’événement et directeur artistique des Sacqueboutiers, Philippe Canguilhem, à la fois musicologue expert et musicien raffiné, Daniel Lassalle, co-directeur artistique de l’ensemble et sacqueboute émérite, ainsi que Jean-Pierre Mathieu auquel il faut rendre hommage pour l’initiative de la création des Sacqueboutiers, voici près de quarante ans !

Les canzoni se succèdent, déployant une prodigieuse variété d’instrumentation, un luxe étonnant de sonorités et d’échanges. Chaque chœur réunit tantôt un ensemble complet de registres, mélangeant cuivres, cordes et instruments à anche, tantôt des groupes homogènes, comme cet étonnant quatuor de bassons, du plus grave au plus aigu, ce dernier évoquant un modèle réduit de doulcène !

Les interprètes « visibles » de la Canzon in eco pour 3 cornetti de Cesare.

De gauche à droite :
Jean-Pierre Canihac (cornetto), Laurent Le Chenadec (basson), Maiko Kato (orgue)
– Photo Classictoulouse –

Si les cornets (jusqu’à quatre instruments) et les sacqueboutes (jusqu’à un pléthorique ensemble de dix, au milieu desquels se retrouvent David Locqueneux, Aymeric Fournès et Fabien Dornic, tous trois membres de l’Orchestre du Capitole !) se taillent la part du lion, on admire les participations des violons (et alto), des bassons et, cerise sur le gâteau, de pas moins de trois orgues positifs.

Chaque pièce possède un caractère particulier que souligne une interprétation soignée. Ainsi la tendre Canzon duodecimi toni in eco a 10, qui ouvre la série, est suivie de la Canzon quarto toni a 15, solennelle et sombre à laquelle les sacqueboutes confèrent une belle austérité. La tranquille beauté de la Canzon duodecimi toni a 10 s’oppose à l’émotion pleine de gravité de la Sonata XVIII a 14 qui évoque irrésistiblement la scène des enfers de l’Orfeo, de l’autre grand compositeur de l’époque, Claudio Monteverdi. Et puis quelques trésors se contentent de petits effectifs, comme cette Sonata XXI à trois violons, intimité de musique de chambre. L’un des grands moments est porté par la Canzon in eco à trois cornetti, l’une des rares œuvres de la soirée qui ne soit pas de Gabrieli, mais de Giovanni Martino Cesare. En écho au cornetto de Jean-Pierre Canihac, seul sur scène avec le continuo, répondent en coulisse deux autres cornetti : un instant magique et raffiné, hors du temps, émouvant de simplicité.

Une partie des musiciens des cinq choeurs de la Sonate XX a 22, de Giovanni Gabrieli

– Photo Classictoulouse –

Deux pièces d’aujourd’hui viennent s’insérer, sans hiatus, dans ce panorama. Le compositeur Cyril Chantelot, actuellement professeur au Conservatoire de Toulouse, a tenu à écrire deux canzoni, dans le style de Gabrieli, en hommage au grand créateur. Jouées sur instruments modernes (trompettes et trombones), elles font briller les talents des jeunes musiciens sollicités pour les interpréter. A leur écoute il est difficile de les différencier de celles qui les entourent.

La soirée se conclut sur une débauche d’instrumentation. La Sonata XX a 22 répartit son écriture entre cinq chœurs d’instruments distribués sur l’ensemble du plateau de l’auditorium, dialoguant ainsi sur une riche polyphonie à vingt-deux voix. On pouvait s’attendre à un feu d’artifice éclatant de virtuosité. C’est au contraire une succession d’échanges et d’incantations musicales d’une solennelle beauté qui emplit la salle. Luxe, calme et volupté, comme si le ciel s’ouvrait pour nous accueillir…

La qualité du programme, comme celle du jeu de chacun, ainsi que celle de la cohésion d’ensemble amènent les musiciens à rejouer cette Sonata pour le plus grand bonheur d’un public enthousiaste.

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