Concerts

Rythmes et couleurs du monde

Le chef d’orchestre basque espagnol Juanjo Mena apparaît pour la troisième fois à la tête de l’Orchestre National du Capitole. Avec la participation de la grande harpiste française Marie-Pierre Langlamet, harpe solo de la Philharmonie de Berlin, il défendait le 19 avril dernier un programme musical particulièrement original associant au grand répertoire symphonique la découverte d’un volet coloré et flirtant avec le jazz, rarement joué de nos jours.

Le chef d’orchestre espagnol Juanjo Mena dirigeant La Création du monde,

de Darius Milhaud
– Photo Classictoulouse –

Le concert s’ouvre sur la célébration d’un anniversaire qui devrait nous concerner : celui de la disparition de Darius Milhaud, l’un des grands compositeurs français du XXème siècle, mort en 1974 à l’âge de quatre-vingt deux ans. Prolifique et protéiforme, l’œuvre de Milhaud se révèle très perméable aux influences populaires les plus diverses. Très marqué par la musique brésilienne qu’il découvre lors d’un séjour comme secrétaire de l’ambassadeur Paul Claudel au pays de la samba, il se passionne également pour le jazz. Toute sa musique reflète une indéfectible joie de vivre, un éclectisme exubérant. Sa partition pour le ballet La Création du monde, créé en 1923, résulte d’une commande de Rolf de Maré, directeur du Ballet suédois, attiré vers Milhaud par l’aptitude du compositeur à intégrer les folklores colorés, celui du Brésil comme ceux liés à l’Afrique. Milhaud conçoit alors, sur ce thème de la Création, une pièce foisonnante, joyeuse, épicée de rythmes syncopés inspirés du jazz. Cette vitalité irrésistible se nourrit également de la pratique d’une polytonalité qui caractérise toute l’écriture de Milhaud. Cette superposition de tonalités différentes confère à cette musique une épaisseur gourmande très caractéristique.

Le petit effectif requis par La Création du monde réunit six bois, quatre cuivres, quatre cordes, un piano et une percussion généreuse. Les musiciens de l’Orchestre du Capitole jouent ainsi comme un ensemble de solistes virtuoses. La direction de Juanjo Mena souligne à la fois la tendresse de cette partition et sa vitalité soutenue par un irrésistible rythme syncopé. On admire tout particulièrement les interventions savoureuses du saxophoniste Philippe Lecocq.

La harpiste Marie-Pierre Langlamet, soliste du concerto d’Alberto Ginastera, et Juanjo Mena – Photo Classictoulouse –

L’Argentin Alberto Ginastera reste peu connu et peu joué en France. Grâce soit rendue aux circonstances qui permettent au public toulousain de découvrir son très original concerto pour harpe et orchestre, créé en 1965 par Nikanor Zabaleta et le Philadelphia Orchestra dirigé par Eugene Ormandy. Marie-Pierre Langlamet, à la fois virtuose et profonde musicienne, se coule avec un naturel étonnant dans ce langage flamboyant, tout éclaboussé de couleurs et de richesse rythmique. Brillamment accompagnée par un orchestre aussi précis que plein de relief, elle donne de la harpe une image bien éloignée de celle de sage jeune fille de bonne famille qui parfois reste injustement attachée à l’instrument. Un dialogue fructueux avec l’orchestre s’établit dès les premières mesures de l’œuvre. C’est néanmoins le Molto moderato central qui impressionne le plus. Ce nocturne poétique et inquiétant à la fois crée une étrange atmosphère de mystère. Quant au final, Liberamente capriccioso vivace, il ne saurait mieux justifier son titre. La danse s’y illustre dans la débauche d’une riche orchestration. La diversité, l’imagination du jeu soliste, le brio d’un orchestre coloré obtiennent le plus vif succès auprès d’un public visiblement séduit. Marie-Pierre Langlamet remercie par un bis plein de charme, le Prélude en do majeur de Serge Prokofiev, composé pour le piano, mais sous-titré justement « Harpe ».

Juanjo Mena à l’issue du concert – Photo Classictoulouse –

L’entracte adoucit le contraste radical qui oppose les reliefs colorés de la première partie et le fleuve romantique de la seconde, tout entière consacrée à la Symphonie n° 3 en fa majeur de Johannes Brahms. La concentration extrême du discours, le parfait mélange de lyrisme et de poésie font de cette partition l’une des plus prisées de celui qui n’osait aborder le genre de la symphonie pour ne pas se trouver confronté au génie beethovénien. Juanjo Mena aborde l’Allegro con brio dans une relative retenue. Le tempo initial modéré permet une montée progressive de la tension jusqu’à son apogée. Un bel équilibre des pupitres, une grande précision rythmique produisent cette belle pâte sonore, généreuse et ample si caractéristique du compositeur. La poésie de l’Andante bénéficie de cette direction éminemment lyrique, d’une profonde tendresse. Le Poco allegretto, auquel l’œuvre doit sa célébrité (merci le cinéma !) connaît ici une générosité expressive d’un beau raffinement. L’agitation dramatique du final, exacerbée jusqu’à l’extase, se résout finalement dans un silence habilement amené, comme dans une sorte de zoom inversé. Sensibilité et générosité caractérisent cette belle interprétation magnifiée par l’excellente contribution du chaque pupitre, vents et cordes en parfait équilibre. L’accueil chaleureux du public permet d’espérer un retour futur de Juanjo Mena à la tête de la phalange toulousaine.

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