L’Opéra de Paris rend hommage, en cette fin d’année 2008, à Maurice Béjart, disparu le 22 novembre 2007. En ce 9 décembre, un programme exceptionnel, malheureusement affiché une seule fois, donnait le coup d’envoi à une série de 14 représentations qui attirent d’ores et déjà les foules du monde entier.
Maurice Béjart
(Crédit photo : Jacques Moatti)
L’histoire de Béjart et de l’Opéra de Paris est un monument à elle seule. Elle débute en 1964 avec une mise en scène… lyrique (La Damnation de Faust) et se poursuivra par l’entrée au répertoire du Ballet de cette illustre maison de 23 œuvres de ce chorégraphe, parmi lesquelles 5 auront été écrites à son intention, dont L’Oiseau de feu (1970).
La soirée s’ouvrait avec un ballet créé en 1970 par les Ballets du XXe siècle : Serait-ce la mort ? Les magnifiques Quatre derniers lieder de Richard Strauss, chant du cygne de ce compositeur, interprétés ici, avec beaucoup d’émotion, par le soprano Twyla Robinson, accompagnent un homme dans un flash back au cours duquel il revoit les quatre femmes qu’il a aimées dans sa vie. Mais de la quatrième, le souvenir s’estompe. Toute de blanche vêtue, c’est pourtant elle qui le mènera dans la lumière pourpre d’un couchant serein vers la pénombre d’un horizon mystérieux.
Pas moins de cinq étoiles pour illustrer tous les reflets de la grâce féminine et l’harmonie amoureuse dans ses différentes étapes, de l’adolescence à la maturité. Delphine Moussin, Dorothée Gilbert, Clairemarie Osta et Emilie Cozette connaîtront chacune à leur tour l’enveloppante sensualité d’un Nicolas Le Riche dont l’enivrante fluidité se conjugue à une musicalité hors pair.
La soirée démarrait très, très fort ! Suivaient deux pièces données uniquement ce soir-là : Adagietto et Le Chant du compagnon errant.
Sur l’avant dernier mouvement de la sublime 5ème de Mahler (voir également le film de Visconti : Mort à Venise), Maurice Béjart écrit Adagietto en 1981, un ballet qui est, peut-être, l’essence même de son art. Brigitte Lefèvre a eu l’excellente idée de le confier au fils spirituel du grand chorégraphe disparu et actuel directeur du Ballet Béjart Lausanne : Gil Roman. Trente années de fréquentation du maître font de cet éblouissant danseur l’incontestable référence, le modèle, le paradigme en matière d’interprétation béjartienne. Quel souffle ! Quelle vibration ! Quelle puissance !
Serait-ce la mort ? De gauche à droite : Emilie Cozette, Clairemarie Osta, Nicolas Le Riche, Delphine Moussin, Dorothée Gilbert – (Crédit Photo Laurent Philippe)
Le Chant du compagnon errant date de 1971 et fut créé par Rudolf Noureev et Paolo Bortoluzzi à Bruxelles. Cette chorégraphie intègre le répertoire de l’Opéra de Paris en 2003 avec le duo Laurent Hilaire et Manuel Legris. Brigitte Lefèvre ne pouvait qu’inviter à nouveau ces deux prestigieuses étoiles pour ce ballet articulé sur le cycle fameux, et d’une rare difficulté vocale, de Gustav Mahler : Lieder eines fahrenden Gesellen, interprété ici par le baryton Bartlomiej Misiuda. Le long et inéluctable cheminement d’un amour contrarié vers une mort salvatrice que le héros finit par accepter trouve chez ces deux interprètes, à la maîtrise toujours aussi parfaite, des correspondances émotionnelles d’une rare intensité.
L’Oiseau de feu – Au centre, Benjamin Pech – (Crédit photo Laurent Philippe)
L’Oiseau et le Sacre, deux sommets vertigineux
La soirée se poursuivait avec deux ballets qui font parti, avec Serait-ce la mort ? du programme des prochaines représentations : L’Oiseau de feu et Le Sacre du Printemps, deux ballets qui sont entrés, du vivant de Maurice Béjart, dans la légende de la danse.
L’Oiseau de feu fut écrit pour le ballet de l’Opéra de Paris et créé en 1970 par Michaël Denard, sur la version abrégée (1919) par Stravinski lui-même de son ballet intégral (1910) qu’il estimait trop long. On ne soulignera jamais assez la portée symbolique de cette ode à la vie, à la jeunesse et à l’action. Comment ne pas être, à chaque fois, sous le choc émotionnel de la renaissance de cet Oiseau phénix ? Assurément l’un des grands chefs d’œuvre de Maurice Béjart, un chef d’œuvre qui trouve en Benjamin Pech (étoile) un interprète idéal. Formidable de puissance, il est jusqu’au vertige cette flamme incandescente qui hantait les rêves d’absolu du maître. A noter l’adage d’un « partisan », certes court mais particulièrement brillant d’ampleur et signé d’un sujet qu’il serait étonnant de ne pas voir évoluer vers des emplois plus significatifs. Il s’appelle Audric Bézard. Un nom à suivre.
Le Sacre du printemps : Au centre : Jérémie Bélingard – (Crédit photo Laurent Philippe)
La soirée se terminait avec l’une des grandes œuvres maîtresses de Maurice Béjart, ce fameux Sacre du printemps. Créé en 1959, il entre dès 1965 au répertoire de l’Opéra de Paris, une affiche qu’il ne quittera plus (quatorze reprises depuis cette date !). La fusion de deux immenses chefs d’œuvre, le Sacre d’Igor Stravinski et le Sacre de Maurice Béjart, fut, il y a 40 ans, un électrochoc considérable dont les effets sont toujours perceptibles. La sulfureuse et géniale partition de Stravinski a tenté plus d’un chorégraphe. De Nijinski en 1913, à nos jours, parmi les plus grands se sont mesurés à cette musique révolutionnaire, dont Pina Bausch, Angelin Preljocaj, Paul Taylor, etc. La vision de Béjart demeure, dans sa nudité et son élan vital, la plus universelle et cosmique. Deux étoiles : Clairemarie Osta et Jérémie Bélingard, incarnent les Elus avec une sensualité et une vitalité superlatives que l’on retrouve d’ailleurs dans l’ensemble du corps de ballet.
Soulignons enfin l’apport déterminant dans le succès de cette soirée de l’Orchestre de l’Opéra de Paris placé sous la direction de Vello Pähn.