En cette période de l’année où les mots d’ordre sont joie, magie, émerveillement, les grandes compagnies classiques, de par le monde, programment le ballet qui répond le mieux à l’attente de petits et grands : Casse-Noisette. Kader Belarbi, directeur du Ballet du Capitole, poursuivant sa relecture des grands ballets du répertoire, a choisi d’offrir au public toulousain pour le temps de Noël, sa vision du pantin de bois. Pour ce faire, il est parti du texte de E. T. A. Hoffmann, Casse-Noisette et le Roi des rats, plus sombre que l’adaptation qu’en avait faite Alexandre Dumas et qui servit de trame à Ivan Vsevolojski et Marius Petipa lors de la création, le 6 décembre 1892, au Théâtre Mariinski de St Pétersbourg.
La Clara de la création est devenue Marie et la maison bourgeoise de ses parents, où se pressent famille et invités en ce soir de fête, est un pensionnat où des enfants, orphelins la plupart, attendent, sans trop y croire, le miracle de Noël, sous la férule de la Haute Surveillante. Drosselmeyer, plus débonnaire qu’inquiétant ici en Directeur de pensionnat, sera le Deus ex machina par qui arrive le merveilleux, sous la forme d’une distribution de joujoux, vite repris et enfermés derrière « l’entre-sort », la grande porte, qui sera celle des rêves.
Julie Charlet et Davit Galstyan – Photo David Herrero –
La nuit venue, Marie, jolie rousse aux tresses irrésistibles, ne résiste pas à la tentation et, dérobant la clé, elle ouvre à nouveau la grande porte pour retrouver le Casse-Noisette que lui a offert, pour quelques instants seulement, Drosselmeyer. Et l’aventure peut commencer. Marie est entourée du Club des cinq (petit clin d’œil aux lectures enfantines des parents), ses amis pensionnaires qui ont pris l’apparence des joujoux reçus : la poupée Coccibelle, Lady Chaterlaine, le Criquet à lunettes, le Robot Spoutnick et le Clown Bidibulle. Ils vont d’abord vivre la lutte qui oppose Casse-Noisette à, non pas des rats comme habituellement, mais à des araignées. Somptueusement vêtues de tutus étincelants, elles vont, sous la conduite (en chaise à roulette !) de la Reine des Arachnides, combattre le pantin et avant de capituler, réussir à lui arracher un bras. Et ce qui était à l’origine un voyage à travers le monde vers le Palais de la Fée Dragée, se transforme en voyage initiatique pour la petite bande, qui parcourant des jardins chimériques dans des contrées improbables, à la recherche d’un bras pour le casse-noisette blessé, vont faire d’étonnantes rencontres.
La Danse espagnole – Photo David Herrero –
Des Soldats rutilants, du gazon à la semelle de leurs bottes (on emporte donc sa patrie à la semelle de ses souliers ?) des Grenouilles et des Crapauds espagnols aux pieds palmés, un Calife à mille pattes et sa cour de bulles à l’allure de sumo, des Frères Siamois, d’adorables Poupées russes, des Polichinelles et un Bonhomme de neige. Drosselmeyer, toujours présent, va enfin les faire pénétrer dans le Royaume des Neiges où des Flocons de neige aux longs manteaux immaculés et des lutins sapins les entraînent dans les tourbillons de la valse, tandis que résonnent de pures voix d’enfants. Et le merveilleux accomplit le miracle, Casse-Noisette retrouve son bras, la magie lui donne vie et il peut, avec Marie danser un merveilleux pas de deux, pont entre la tradition et la modernité.
Mais le rêve fini, le monde reprend ses contours, et les enfants s’éveillent dans leur dortoir, en ayant tout oublié, sauf Marie. Mais Casse-Noisette, au grand désespoir de la fillette est vraiment un pantin de bois et non pas ce Prince Charmant qui l’a faite virevolter dans ses bras. En proie aux moqueries de ses amis, Marie, au bord des larmes, finira par retrouver son sourire émerveillé, quand le Directeur, Drosselmeyer, leur présente le nouveau pensionnaire, qui a les traits du Casse-Noisette tant aimé.
Ramiro Goméz Samón – Photo David Herrero –
Kader Belarbi a, comme toujours, réfléchi longuement à cette nouvelle version et s’est entouré d’un groupe d’artistes à même de comprendre et d’accompagner son projet. Les décors d’André Fontaine, sobres ou colorés selon les nécessités du livret, s’ouvrent, glissent, se transforment à vue, et deviennent ainsi partie prenante dans l’action. Philippe Guillotel (costumier de Jean Paul Goude et Philippe Decouflé, entre autres), signe la cascade de costumes joyeusement colorés, improbables parfois et l’on peut s’interroger sur leur côté pratique pour l’exercice de la danse. Enfin, le complice de plusieurs des re-créations des ballets du répertoire de Kader Belarbi, Koen Kessel est à la baguette pour la partie musicale. La très belle partition de Tchaïkovski, quelque peu « réagencée » par le chorégraphe, et entrecoupée d’inclusions musicales (est-ce vraiment nécessaire ?) composées et arrangées par Anthony Rouchier, est magistralement interprétée par l’Orchestre du Capitole.
Et la Danse dans tout ça, me direz-vous ? Devant ce spectacle, qui a fait la joie des enfants tout au long des neuf représentations, on peut se demander si l’on doit vraiment parler d’un ballet. C’est un grand divertissement, dans une somptueuse production, mais il s’agit plus, à notre avis, de pantomime que de danse. Le tableau du pensionnat se déroule dans un joyeux désordre, sûrement très organisé, les différentes contrées imaginaires ne donnent pas lieu à de réelles démonstrations de danse : le roulement des bulles-sumos autour du Calife à mille-pattes, est-ce de la danse ?
Natalia de Froberville et Ramiro Goméz Samón
– Photo David Herrero –
Il y a bien sûr de jolis moments avec les (courtes) variations du Club des cinq, en scène durant toute l’œuvre : Tiphaine Prévost, poupée fofolle, Solène Monereau, aristocrate racée, Simon Cantonnet, criquet bien sympathique, Dennis Calas Valdès, souple robot, et Philippe Solano, clown virevoltant, sont les « zébulons » qui introduisent et ponctuent l’action, nous donnant à voir tout de même des démonstrations d’une belle technique. La Valse des Flocons ainsi que le Pas de Deux magnifiquement dansé par les premiers solistes des deux distributions que nous avons pu voir, sont également de très beaux moments. Natalia de Froberville, vive, légère et à la technique impeccable et Ramiro Goméz Samón, un Casse-Noisette impressionnant de raideur (voulue !) et de gestes d’automate, avant de briller dans la variation, étaient l’un des couples de ce ballet. L’autre était formé par Julie Charlet, mutine, tout en charme et en espièglerie, et Davit Galstyan, plus en rondeur dans ses gestes et très impressionnant de sureté technique dans sa variation. Et saluons ici la performance des deux danseurs qui dansent, jusqu’au Pas de Deux final, avec leur seul bras droit, le gauche étant immobilisé sous leur tunique.
Rouslan Savdenov et Minoru Kaneko, méconnaissables dans leurs costumes et leurs maquillages, campent un Drosselmeyer bien moins inquiétant que débonnaire. Enfin, Alexandra Surodeva et Kateryna Shalkina, dont nous avions pu admirer la superbe prestation lors d’une représentation du Corsaire en 2013, donnent beaucoup de présence à la Haute Surveillante et à la Reine des Arachnides.
Si les balletomanes sont restés sur leur fin face à cette nouvelle version du Casse-Noisette, le public a visiblement bien apprécié ce spectacle et a fait de longues ovations à la Compagnie et à son directeur.