Œuvre appartenant à la mythologie de l’opéra, la Tosca de Giacomo Puccini fait partie de ce que l’on appelle l’inconscient collectif tant ce personnage est synonyme de cantatrice, voire de diva. Après avoir envahi les studios d’enregistrements plus de 40 fois et au moins autant les officines pirates, l’œuvre paraît aujourd’hui régulièrement en DVD. Dernièrement, et si l’on excepte la captation historique dirigée par James Conlon et dont les limites, outre l’aspect légendaire, sont par trop flagrantes, voici deux nouvelles captations sur le vif. Que nous apportent-elles ? A vrai dire, beaucoup de questions. La surprise Thomas Hampson Chronologiquement (avril 2009), voyons celle captée à l’Opéra de Zurich. La production en est signée Robert Carsen. Cet immense metteur en scène est allé puiser dans le culte de la prima donna, telle que l’incarnait Callas au milieu du siècle dernier, le fil conducteur de sa réalisation offrant ainsi une énième parabole du théâtre dans le théâtre. De somptueuses prises de vue très cinématographiques et des éclairages virtuoses ne peuvent cacher un discours intellectuel que la scène rendait plus accessible. Les plans resserrés qui nous sont offerts ici, pour aussi beaux soient-ils, entament la démarche globale jusqu’à la rendre peu visible. Un certain esthétisme à tout crin bride ce fleuve de larmes et de sang qu’est cette Tosca. Dommage car le cast, sous l’impérieuse direction de Paolo Carignani à la tête des phalanges maison, est loin de démériter. Cela dit, la vraie surprise vient de la prise du rôle de Scarpia par Thomas Hampson. Non seulement sa voix s’accorde parfaitement aux dimensions légères de l’Opernhaus de Zurich (1100 places) mais son implication dramatique dans un personnage aussi violent que Scarpia est stupéfiante, d’autant plus que le baryton américain ne passe pas pour une bête de scène. C’est donc non seulement une révélation mais aussi peut-être un tournant dans la carrière de ce chanteur. Dans tous les cas, un Scarpia qui désormais compte dans le paysage vidéo. Autre prise de rôle, celle de Tosca par le soprano américain Emily Magee. Familière du répertoire wagnérien et straussien, cet emploi ne lui cause aucune difficulté vocale, dans les passages véhéments comme dans les phrases les plus rêveuses. Arrive-t-elle à convaincre pour autant ? Rien n’est moins sûr, du moins dans cette production dans laquelle elle semble (c’est le principe) « jouer » en permanence un personnage, voire le surjouer, opposant de facto la dimension purement théâtrale à la sensuelle et cruelle vérité du drame puccinien. Encore une fois les plans rapprochés sont assez meurtriers dans ce domaine. Tous comme ils le sont pour le Mario du ténor allemand Jonas Kaufmann. Si la prestation vocale est somptueuse de phrasé et de musicalité, celui qui sait être un Don José incandescent est ici littéralement absent, en particulier au premier acte qui le voit chercher ses marques en permanence. Pour conclure, une captation bizarre dont la sophistication ne rend certainement pas toute l’authenticité et la subtilité scéniques de ce spectacle. Luc Bondy et la noirceur du drame vériste De quelques mois son cadet (octobre 2009), l’enregistrement de la Tosca depuis le MET de New York a des atouts et des faiblesses totalement différents. Si les phalanges new-yorkaises sous la direction sans histoire de Joseph Colaneri n’appellent pas de commentaires particuliers, il en va tout autrement de la production mise en scène par Luc Bondy. Pour ce dernier, Tosca est un thriller en même temps que l’un des rares opéras sur la torture. Tout est dit et ce qu’il montre à voir est effectivement d’une rare violence physique, le deuxième acte atteignant des sommets en la matière. Le rôle-titre est entre les mains d’une authentique tragédienne lyrique : Karita Mattila. Bien sûr, j’entends d’ici les esprits chagrins faisant allusion à un timbre et une émission peu italiens. Ils ont entièrement raison et, à vrai dire, c’est le seul point faible de son interprétation. Mais quelle Tosca ! Du feu ! A ses côtés, George Gagnidze campe un Scarpia à la libido débridée et littéralement repoussant. Si la voix est loin d’être exceptionnelle, son interprétation donne le frisson. Plus « ténor » que jamais, Marcelo Alvarez donne à Mario Cavaradossi l’exacte lumière vocale du rôle, la vaillance, la musicalité et le phrasé. Si le comédien n’est pas superlatif, le chanteur est irrésistible. La sophistication esthétisante zurichoise contre l’éruption primaire et volcanique du MET. Faites votre choix.