Créé en 1975, cet opéra « dansé » est l’une des œuvres majeures de la chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009). Entré au répertoire de l’Opéra de Paris en 2005, il en constitue l’un des plus incontestables fleurons. Les reprises de cet Orphée et Eurydice de Gluck (1714-1787), dans la chorégraphie de Pina Bausch, sont une éternelle source de plaisir. Captée en février 2008 sur la scène du Palais Garnier, la représentation qu’en immortalise le présent DVD, sous l’experte caméra de Vincent Bataillon, est un témoignage essentiel de l’art de cette artiste disparue l’an passé. Chef d’œuvre absolu du classicisme, d’une modernité incroyable, cet opéra ne peut qu’interpeller Pina Bausch. Son idée est de doubler le chœur (qui chante dans la fosse, tout de noir vêtu) et les trois interprètes de cet opéra (également en noir, mais sur scène), par des danseurs. Le Corps de ballet se voit attribué la partie, importante, de la phalange chorale et trois danseurs doublent Orphée, Eurydice et Amour. Cette recherche d’incarnation, au sens étymologique du terme, relève bien du souci de matérialisation dramatique et corporelle qui amena le compositeur à demander à ses interprètes de proférer des cris à voix nue à certains moments afin de clamer leur douleur et leur désespoir. Nous étions en… 1762 ! A la voix, donc, revient le récit poétique, au corps l’essentiel de la charge émotionnelle et la mission de transmettre toute la profondeur du drame dans un langage universel, celui de la danse. Vu sous ce prisme, il est clair que le travail chorégraphique devient l’essentiel.Loin d’une grammaire classique, Pina Bausch fait évoluer ses danseurs à l’intérieur d’une fluidité de mouvements conjuguant avec une élégance de tous les instants des ensembles d’une beauté à couper le souffle et des soli d’une bouleversante intensité émotionnelle. Dans les décors, costumes et lumières de Rolf Borzik, compagnon de Pina Bausch disparu en 1980, cette version atteint au sublime.Le mythique « héros au pas de harpe » est la figure centrale du spectacle. C’est un Premier danseur exceptionnel, Yann Bridard, que tient ce soir-là le rôle d’Orphée, tout comme en 2005 lors de l’entrée au répertoire de ce ballet-opéra. Sa prestation, plus sombre et douloureuse qu’alors, est toujours aussi confondante d’émotion, de grâce et de musicalité. Un interprète formidablement inspiré et bouleversant. En victime expiatoire du doute amoureux, l’Eurydice de Marie-Agnès Gillot (Etoile), qui était également de la création à l’Opéra de Paris, est un modèle de souplesse et de sensibilité, tout comme Miteki Kudo, également créatrice du rôle d’Amour in loco en 2005.Saluons enfin les trois solistes vocaux : Maria Riccarda Wesseling (Orphée), Julia Kleiter (Eurydice) et Sunhae Im (Amour), solistes qui avaient la lourde tâche d’imposer leur chant au sein d’une production chorégraphique de tout premier plan.Sous la direction infiniment attentive de Thomas Hengelbrock, le Bathasar-Neumann Ensemble and Chor atteint ici très clairement à la perfection.Un témoignage prodigieux et… indispensable.