Le 3 mai dernier, l’Orchestre national du Capitole recevait son nouveau directeur musical, le Finlandais Tarmo Peltokoski, jeune chef prodige qui suscite l’admiration de tous les publics autant que celle de ses musiciens. Un atout supplémentaire, la présence de la soprano israélienne Chen Reiss et les beautés d’un programme aux allures crépusculaires ont obtenu un véritable triomphe de l’ensemble du public de la Halle aux Grains.
Organisé dans le cadre des 700 ans des Jeux floraux de Toulouse – Académie des Jeux floraux, ce concert du 3 mai célébrait également le cinquantième anniversaire de la fondation de l’Orchestre du Capitole devenu depuis « national ». Rappelée au début de la soirée par le maire de Toulouse et Président de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc, cette conjonction conférait un lustre particulier à cette soirée. En outre, chacune des deux grandes œuvres musicales inscrites au programme a été précédée de la lecture d’un poème par les auteurs eux-mêmes, Hélène Dorion et Marc Alexandre Oho Bambe.
Hélène Dorion, poétesse, romancière et essayiste ouvre ainsi la soirée avec la déclamation de son poème Cœurs, comme livre d’amour. Cette belle évocation des saisons et du temps qui passe constitue une parfaite introduction au cycle des Quatre derniers lieder de Richard Strauss qui occupe la première partie du concert. La grande soprano Chen Reiss, révélée en tant que membre du Bayerische Staatsoper, est la soliste de ces pièces qui offrent une vision sereine et lucide de l’adieu au monde.
Dès le premier de ces lieder, Frühling (Printemps), son timbre lumineux s’épanouit dans un registre aigu éclatant. Les modulations particulières et les chatoiements colorés de September (Septembre) sont admirablement mêlés. On admire ensuite tout particulièrement la nostalgie expressive qui émane d’abord du splendide solo de violon de Beim Schlafengehen (A l’heure du sommeil), admirablement phrasé par Jaewon Kim (supersoliste de l’Orchestre) et repris avec un lyrisme fervent par la soprano. Avec Im Abendrot (Au crépuscule) l’émotion est à son comble. La voix de la cantatrice se colore de nostalgie et ce long voyage initiatique s’achève sur une question apaisée, presque souriante : « Ist dies etwa der Tod » (Serait-ce cela la mort ?) suivie de l’évocation poétique du chant de l’alouette par le pupitre de flûtes. Comme un lien qui subsiste avec la vie.
Tout au long de ce cycle, l’orchestre joue un rôle essentiel sous la direction subtile, équilibrée et si profondément musicale de Tarmo Peltokoski. Les couleurs, les nuances s’inspirent autant du texte lui-même que des combinaisons instrumentales. Un bonheur de chaque instant !
La seconde partie du concert, consacrée à la Symphonie n° 9 en ré mineur d’Anton Bruckner est précédée de la lecture, par le poète, slameur et romancier Marc Alexandre Oho Bambe, de son poème, Il y aura toujours quelque chose à sauver. Encore une fois, le contenu de ce beau texte qui traite d’injustice et de violence, s’avère bien lié à l’œuvre musicale qui lui succède, en particulier à son deuxième mouvement, comme nous l’évoquons plus bas.
Rappelons que de cette dernière symphonie d’Anton Bruckner, seuls trois mouvements ont été complétés par le compositeur qui avait prévu un final dont il n’a laissé que des esquisses. Cette partition représente un somptueux et grandiose adieu à ce monde. Bruckner l’a conçue comme son œuvre ultime, la dédiant « à Dieu » (Dem lieben Gott). Les premières mesures, lentes et sombres du mouvement initial (Feierlich, misterioso) semblent émerger d’un silence sépulcral. L’émotion que suscite la première phrase naît, comme souvent chez Bruckner, de la lente progression d’un crescendo ici parfaitement maîtrisé. C’est précisément cette incroyable maîtrise qui caractérise la manière dont le chef contrôle la partition dans sa ligne directrice comme dans les détails les plus ténus. Rien de massif ici. Un extrême raffinement caractérise l’approche du chef, ainsi que la souplesse de sa direction qui en outre, construit son interprétation à la manière d’un architecte. Rappelons que les symphonies de Bruckner, cette 9ème en particulier, sont souvent qualifiées de « cathédrales mystiques ».
Le deuxième volet de l’œuvre, un Scherzo et son Trio, noté Bewegt, lebhaft (agité, vif), tire une certaine sauvagerie de la précision implacable, diabolique même, avec laquelle il est exécuté. Il illustre bien, en cela, le texte du poème de Marc Alexandre Oho Bambe.
La large phrase qui ouvre le troisième et dernier mouvement achevé par son compositeur, Adagio : Langsam, feierlich (lent, solennel), mène peu à peu l’auditeur vers une conclusion irréelle et sereine. La participation des tuben wagnériens tient dans ce volet final un rôle important. Là encore, ces crescendos si caractéristiques de l’écriture de Bruckner partent de très loin et conduisent à cette apothéose mystique qui reste la volonté suprême du compositeur. Un long silence prolonge encore ce volet final. Un silence qu’il est bien difficile de rompre !
L’enthousiasme du public finit par l’emporter ! Le chef et les musiciens ne cessent de s’applaudir mutuellement, marquant ainsi le lien fort qui s’est créé entre l’orchestre et son directeur musical. En outre, le chef revient sur scène avec un bouquet de fleurs offert à l’altiste Tymoteusz Sypniewski qui a décidé de prendre une retraite qu’on lui souhaite heureuse et évidemment musicale ! Une touchante sérénade lui est alors offerte par ses collègue de pupitre. Notons que le public reprend en chœur et avec conviction « Ce n’est qu’un au revoir ». L’Orchestre, le public, une vraie famille !
Serge Chauzy
Programme du concerts donné le 3 mai 2024 à la Halle aux Grains de Toulouse :
- R. Strauss : Vier letzte Lieder – Quatre derniers lieder
- A. Bruckner : Symphonie n° 9 en ré mineur