En cette soirée du 29 juillet 2023, le Festival Peralada accueille en son Eglise du Carme le duo, à la ville comme à la scène, Diana Damrau et Nicolas Testé. Si la soprano allemande a quelque peu réduit son activité d’opéra sur scène, ses apparitions en ce domaine se comptant sur les doigts d’une main lors de ces dernières années, il n’en est rien de son calendrier de récitals qui constituent donc l’essentiel aujourd’hui de ses engagements. Ces derniers se concentrent dans le domaine du lied, avec piano ou orchestre. Lors de cette soirée, c’est d’ailleurs Diana Damrau qui occupe la plus grande partie du genre inscrit au programme. Française tout d’abord avec ces standards signés Henri Duparc (L’Invitation au voyage, Chanson triste), puis Richard Strauss (Stândchen, Wiegenlied), Nicolas Testé ne s’aventurant que dans La Vie antérieure d’Henri Duparc. Si l’évolution normale de sa voix a contraint Diana Damrau à abandonner les aigus stratosphériques de La Reine de la nuit et autres Zerbinetta, n’en demeure pas moins aujourd’hui encore un timbre somptueux et une musicalité hors pair. C’est donc avec un plaisir sans mélange que nous écoutons religieusement son Anna Bolena (Al dolci guidami) chantée sur le souffle, dont chaque mot, chaque note, traduisent la sidération qui s’est emparée de la future suppliciée. Certes l’on aurait aimé que cet air soit précédé du splendide récitatif qui le précède. Mais ceci est une autre histoire. Même remarque pour ce Casta Diva évanescent mais isolé ne traduisant « que » la prière de Norma, un rôle que Diana Damrau n’a jamais abordé à la scène. Elle en donne ici une interprétation qui pour aussi musicale soit-elle, démontre bien combien cet emploi était hors de sa portée. Il en est tout autrement de son duo des Puritains avec Nicolas Testé (O amato zio). Elvira fut l’un de ses grands rôles. Elle le vit ici avec une fabuleuse intensité. Si les deux compositions signées Vladimir A. Vlasov et Serguei Rachmaninov ne font que passer, la dernière partie du récital est réservée entièrement à la cantatrice et consacrée à des compositeurs tels que Paul Lincke (un extrait de son opérette Frau Luna), Brad Ross (How Sad No One Waltzes Anymore) et last but not least, un extrait célébrissime de My Fair Lady, signé Frederick Loewe, vous l’avez deviné : I Could Have Danced All Night. Possédant ce répertoire parfaitement, Diana Damrau l’agrémente de pas dansés totalement en situation. Un délice.
Au milieu d’un tel programme, le baryton-basse français Nicolas Testé se fraie tout de même un chemin. C’est d’abord l’air de Soliman, extrait de La Reine de Saba de Charles Gounod, air à même de démontrer tout le tempérament lyrique de cet artiste, un tempérament qu’il déploie sans retenue. Tout comme dans cet extrait de La Gioconda d’Amilcare Ponchielli dans lequel Alvise exprime une violence incroyable. En seconde partie de soirée, Nicolas Testé nous revient avec le célèbre air de Philippe II du Don Carlos de Giuseppe Verdi, en langue originale, le français. Dans une prosodie parfaite, le chanteur clame toute la douleur du vieux monarque face à son destin. Le phrasé, parfaitement soutenu, convient à cette aria comptant parmi les plus belles écrites par ce compositeur. Nicolas Testé tire ensuite sa révérence avec l’air du Prince Grémine extrait d’Eugène Onéguine de Piotr Ilitch Tchaïkovski. Ici encore, un legato royal sublime cette somptueuse déclaration d’amour.
Deux bis clôturent ce récital. Celui de Nicolas Testé est modeste : l’air dit de La défroque, extrait de La bohème puccinienne, à vrai dire difficile à isoler du contexte dramatique de la quatrième partie de cet opéra. Celui de Diana Damrau est tout autre. Signé Joaquin Turina, Tu pupila es azul nous donne encore une fois l’occasion d’applaudir sincèrement cette grande dame du monde lyrique sachant s’affranchir avec virtuosité de partitions très différentes.
Mais il serait tout à fait injuste de conclure cet article sans parler du pianiste autrichien Helmut Deutsch. Reconnu à l’échelon historique comme l’un des plus éminents partenaires des interprètes de lieder, il nous donne ce soir la preuve éblouissante de sa science. Car, lui qui est spécialiste de Brahms, Schubert, Schumann, entre autres, le voilà qui se glisse avec un style incroyable de justesse de ton dans un tout autre répertoire : français, italien et russe, y compris la comédie musicale américaine ! Sans entrer dans le détail, il est clair que nous n’oublierons pas de sitôt les quelques phrases qui anticipent le Casta Diva ou encore celles qui précèdent l’air de Philippe II. Des moments incroyables qui font naître, par la magie d’un toucher et d’une hallucinante subtilité de dynamiques, des émotions profondes qui déroulent un vrai tapis de velours sous la voix des interprètes. Digne successeur du mythique Gerald Moore, Helmut Deutsch a littéralement « sanctifié » cette soirée !
Robert Pénavayre
Photos : Miquel Gonzalez