En faisant entrer au répertoire de l’Opéra national du Capitole le chef-d’œuvre lyrique d’Antonin Dvorak, Christophe Ghristi nous offre pour cela une nouvelle production et une distribution de très haut vol. Une ouverture de saison plus que prometteuse.
Antonin Dvorak en route pour la Lune
Avec Antonin Dvorak nous sommes en présence de l’un des rares exemples de succès classiques dus à la télévision. Ce succès, c’est l’adoption par une émission mythique de l’ORTF dans les années 60, Sciences d’Aujourd’hui, animée par Igor Barrère et Etienne Lalou, des premières mesures du dernier mouvement de sa Symphonie du Nouveau Monde. Très rapidement, cette symphonie est devenue un bestseller pour les programmes des concerts, les chefs d’orchestre étant sûrs d’attirer du public. Cette symphonie, les cinéphiles la retrouvent dans Le Seigneur des anneaux et La Guerre des étoiles. Et en parlant d’étoile savez-vous que Neil Armstrong en amena un enregistrement lors de la mission Apollo 11, mission qui permis aux hommes en 1969 de marcher sur la Lune.
Antonin Dvorak n’aurait-il composé qu’une symphonie ? Non. Et d’abord qui était-il ? Tout d’abord un grand romantique contemporain de Verdi, Puccini, Wagner, pour ne citer qu’eux. Il naît en Bohème en 1841. C’est donc un compositeur tchèque, contemporain aussi de Leos Janacek (Jenufa, Katia Kabanova, L’Affaire Makropoulos, La Petite Renarde rusée) et de Bedrich Smetana (La Moldau). Jusqu’à l’âge de 40 ans, Antonin Dvorak se consacre à la composition mais n’est pas très connu et donc très peu joué. Il est organiste et vit pauvrement. La vie de bohème en quelque sorte. En 1878 il fait la connaissance de Johannes Brahms. Ils deviendront des amis indéfectibles. Cette amitié va lui ouvrir les portes les plus précieuses pour un compositeur, celles d’un éditeur. Et voilà la carrière internationale d’Antonin Dvorak lancée. Ce dernier va également développer une activité en Europe centrale de chef d’orchestre de ses propres œuvres. Les honneurs commencent à s’accumuler de même que les propositions de postes prestigieux dans le monde entier. Il est professeur au Conservatoire national de New York, docteur honoris causa de l’Université de Cambridge, etc. En 1901 il retourne dans son pays et devient directeur du Conservatoire de Prague, ville dans laquelle il s’éteindra en 1904.
L’opéra de Dvorak le plus programmé au monde
Le corpus que nous laisse ce musicien qui composa pendant environ 40 ans de son existence est très important : des mélodies, de la musique de chambre, 9 symphonies, des œuvres vocales sacrées, dont un fameux Stabat Mater, des poèmes symphoniques et 10 opéras dont bien sûr Rusalka qui est son 8ème. Il est créé à Prague en 1901 avec beaucoup de succès et demeure à ce jour l’opéra de ce compositeur le plus programmé dans ce qui était l’ancienne Tchécoslovaquie bien sûr mais aussi dans le monde.
Les origines littéraires du livret sont triples mais la plus connue est certainement la fameuse Petite Sirène d’Andersen. Inutile de vous raconter l’histoire, vous l’avez tellement lue à vos enfants et petits-enfants qu’elle est devenue un grand classique de la littérature enfantine. Alors, bien sûr, nous lisons à nos tout-petits la version Disney qui commence par il était une fois et se termine par ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants. La version choisie par Antonin Dvorak est fidèle au conte d’Andersen et, nous le savons, les contes pour enfants sont souvent cruels. Rusalka ne va pas échapper à cette règle.
La tragique histoire d’une belle ondine et de son prince charmant
Rusalka n’est pas un patronyme mais un nom commun qui désigne, dans l’imaginaire slave, une ondine, un personnage mystérieux vivant dans les profondeurs aquatiques. Dans cet opéra nous ne sommes pas dans la mer mais dans un lac.
Le 1er acte nous met en présence de nymphes des forêts en train d’aguicher l’Ondin, Roi des Eaux, un peu à l’image d’Albérich et des Filles du Rhin dans le prologue de la Tétralogie wagnérienne. L’Ondin, Vodnik, est le père de Rusalka. Celle-ci lui confie qu’elle est tombée amoureuse d’un beau jeune homme qui se baignait dans le lac et qu’elle voudrait devenir humaine pour vivre sa passion avec lui et aussi acquérir une âme immortelle. L’Ondin essaie de la dissuader, mais voyant qu’il n’y arrive pas, lui conseille d’aller voir la sorcière Jezibaba. C’est le moment que choisit le compositeur pour écrire à Rusalka l’air le plus connu de cette partition, la fameuse Chanson à la Lune, une sorte de nocturne vocal qui siège en bonne place dans tous les récitals de soprano et les concours de chant. La sorcière accepte mais la prévient, si son amour n’est pas payé en retour, elle redeviendra sirène mais damnée à jamais. De plus dès qu’elle sera devenue une femme elle sera muette pour les humains. La transmutation s’opère, le beau jeune homme, un Prince, arrive sur ces entrefaites et les deux jeunes gens tombent dans les bras l’un de l’autre. Malgré le silence de Rusalka.
Le 2nd acte nous transporte dans les jardins du château. Il y a une fête pour les fiançailles du Prince et de Rusalka. Le Garde forestier et un Marmiton discutent de cette étrange créature qui, pensent-ils, a ensorcelé le Prince. Ils évoquent aussi une Princesse étrangère très belle et à laquelle le Prince ne serait pas indifférent. Le mutisme de Rusalka commence à intriguer le Prince même s’il en est toujours amoureux. C’est alors qu’arrive la fameuse Princesse étrangère, amoureuse du Prince bien sûr. Manipulatrice experte, elle a tôt fait d’attirer le Prince dans ses bras, au grand désespoir de Rusalka. Désespoir d’autant plus grand lorsque Rusalka voit le Prince embrasser la Princesse. C’est alors qu’apparaît l’Ondin venant chercher sa fille pour l’amener au plus profond du lac sous le regard horrifié du Prince et le rire maléfique de la Princesse qui rejette alors le Prince.
Le 3ème acte nous ramène au bord du lac. Rusalka est seule, c’est désormais sa destinée. Jezibaba apparaît et lui dit qu’il y a encore une solution pour que tout redevienne normal pour elle. Il faut qu’elle égorge le Prince. Rusalka refuse. Apparaît le Prince, obsédé par l’image de sa bien-aimée Rusalka. Celle-ci sort de l’eau, elle a retrouvé l’usage de la parole et s’adresse à lui avec tendresse. Le Prince la supplie de lui donner un baiser, ce à quoi elle lui répond que ce sera au prix de sa vie. Mais le Prince n’aspire plus maintenant qu’à une paix éternelle. Rusalka l’embrasse, implore Dieu pour la miséricorde de l’âme du Prince et disparaît à jamais au fond des eaux.
Nous le voyons ici nous ne sommes pas très loin du conte d’Andersen.
Typologies vocales.
Il faut deux sopranos : Rusalka et la Princesse étrangère. Rusalka est un soprano lyrique, dont l’atout majeur pour ce rôle est non pas un suraigu flamboyant car sa tessiture ne dépasse pas le si naturel, mais plutôt une très belle ligne de chant et infiniment de musicalité, capable aussi de demi-teintes aériennes. Il lui faut également un beau médium et un grave audible, en fait une voix homogène car cet opéra est très orchestré, entendons par là que souvent les chanteurs doivent affronter un orchestre très présent. C’est particulièrement le cas pour le rôle de la Princesse étrangère. Cette soprano a le seul contre ut de la partition, mais son rôle, court, est vraiment dramatique vocalement. Résultat il est souvent confié à un soprano wagnérien. L’Ondin est un baryton-basse qui doit se sentir à l’aise jusqu’au fa. Le Prince est bien sûr un ténor, pas héroïque, bien que beaucoup de ténors wagnériens se soient appropriés ce rôle (Ben Heppner il y a …quelques années), mais avec une voix ample et homogène jusqu’au contre ut. Jezibaba est un mezzo-soprano à l’aigu affirmé puisqu’on lui demande de monter jusqu’au si bémol. Elle doit être capable de couvrir 2 octaves. C’est en même temps un formidable rôle de composition.
Un passionnant plateau international
C’est donc dans une nouvelle production, réalisée avec The Israeli Opera Tel-Aviv-Yafo, que cet ouvrage entre au fronton du Capitole toulousain. Elle est signée du metteur en scène, décorateur, costumier, chorégraphe et luminariste italien Stefano Poda, celui-là même qui, pour ses débuts in loco avait reçu une véritable ovation le soir de la première d’Ariane et Barbe-Bleue de Paul Dukas. C’est dire combien le public attend sa Rusalka. Au pupitre, rien moins que le chef allemand Frank Beermann, un habitué de la fosse capitoline dans laquelle il a déjà triomphé pour Parsifal, Elektra, La Flûte enchantée et où il se replongera après Rusalka pour un Tristan et Isolde qui s’annonce d’anthologie en mars 2023. Côté vocal, nous retrouvons dans le rôle-titre la soprano roumaine Anita Hartig, déjà sur cette scène Marguerite (Faust de Gounod) et Traviata de Verdi. Le baryton russe Aleksei Isaev dans le terrible rôle de Vodnik, le Roi des Eaux et père de Rusalka, le jeune ténor polonais Piotr Buszewski dans le rôle du Prince et la mezzo-soprano britannique Claire Barnett-Jones dans le rôle de Jezibaba feront leurs débuts au Capitole. La soprano française Béatrice Uria Monzon, une cantatrice qui a déjà vécu de nombreux triomphes sur notre scène, incarnera la terrifiante Princesse étrangère. Voilà pour les principaux rôles. Ajoutons que le Chœur de l’Opéra national du Capitole sera dirigé par leur tout nouveau directeur titulaire, Gabriel Bourgoin.
En somme, de multiples raisons indiscutables de se précipiter pour l’une des cinq représentations qui marqueront certainement une date importante dans la vie lyrique toulousaine.
Robert Pénavayre
Renseignements et réservations : www.theatreducapitole.com
Représentations : 6, 9, 11, 14 et 16 octobre 2022