Pour sa 19ème saison, le festival Les Musicales des Coteaux de Gimone déploie une imagination et une originalité remarquables. D’avril à octobre 2022, de grands musiciens déjà célèbres et de jeunes débutants pleins de promesses se succèdent dans des lieux divers et emblématiques de ce beau département du Gers. La très belle abbaye de Boulaur recevait, ce dimanche 14 août, l’ensemble de cuivres anciens de Toulouse Les Sacqueboutiers et leur soliste et complice musical de longue date, le contre-ténor Dominique Visse.
Le festival Les Musicales, placé sous la direction artistique du grand pianiste François Dumont, s’organise cette année de manière astucieuse autour d’un ensemble de concerts consacrés, du 10 au 13 juillet, au cœur du classicisme viennois (Haydn, Mozart, Beethoven). Ce noyau musical est précédé et suivi de grandes et belles manifestations qui témoignent d’une recherche de la diversité et de la qualité.
Parmi ces manifestations, celle du 14 août, en fin d’après-midi, a attiré un public nombreux et enthousiaste dans la petite église de l’abbaye de Boulaur. Comme l’indique en ouverture l’organisateur de ces manifestations Olivier Marsal, le programme initialement prévu par l’ensemble toulousain Les Sacqueboutiers a dû être modifié du fait de l’empêchement inattendu de la soliste. La participation in extremis et salvatrice de Dominique Visse a permis de lui substituer le riche contenu de « La Lyre amoureuse », un programme déjà mis au point et enregistré par ces mêmes interprètes.
On sait que depuis plus de quarante ans, l’ensemble toulousain Les Sacqueboutiers mène une action originale qui consiste à redécouvrir les cuivres anciens, réinventer les techniques de jeu, reconsidérer le répertoire, l’exhumer le plus souvent. Pour ce concert, le contre-ténor Dominique Visse, fondateur et animateur du prestigieux Ensemble vocal Clément Janequin, rejoint donc les cuivres anciens toulousains ainsi que l’orgue et les cordes associées dans un programme intelligemment conçu autour du madrigal italien au XVIIème siècle.
C’est au début des années 1600 que le grand Claudio Monteverdi invente le concept novateur du « Recitar cantando », soit en bon français « Dire en chantant ». La prédominance du texte auquel se soumet la musique devient alors la règle parmi les nombreux compositeurs de cette période fertile. Le madrigal, qui associe la voix aux instruments, devient la forme musicale la plus adaptée à cet art nouveau. Le programme instrumental et vocal offert ce dimanche de fête à Boulaur explore un bouquet de pièces expressives écrites par des compositeurs adeptes de ce « nouveau » style musical.
L’ensemble instrumental est ici constitué du cornet à bouquin de Jean-Pierre Canihac, de la sacqueboute de Daniel Lassalle (deux instruments considérés alors comme les plus aptes à imiter la voix humaine), du violon d’Hélène Médous, du violoncelle de Susan Edward et de l’orgue positif de Yasuko Uyama-Bouvard. Le contre-ténor Dominique Visse, expert en la matière, sait faire émerger son timbre si particulier de l’ensemble instrumental mais également le fondre dans la polyphonie du texte musical comme une voix supplémentaire. Véritable caméléon vocal, il jongle comme personne avec les registres de tête et de poitrine et place son talent et sa verve au service de l’expression avant tout.
Ainsi, dans la première pièce jouée et chantée ici « Acenti queruli » (Accents plaintifs), de Giovanni Felice Sances (1600-1679), le chanteur n’hésite pas à « piailler » comme le poème le suggère au travers de l’expression « oisillons piaillards » ! Tous les affects émergent de ces madrigaux très divers, soutenus par la flexibilité d’un timbre qui épouse avec autant d’aisance la puissance de la trompette triomphante que la douceur de la flûte. Confidences et souffrances amoureuses se retrouvent dans des madrigaux comme « Usurpator tiranno » du même compositeur (avec de touchants échanges entre la voix et les instruments), dans la poésie lumineuse de « Se l’aura spira tutta vezzo » de Girolamo Frescobaldi (1583-1643), ou dans « L’Eraclito amoroso », émouvant lamento de la compositrice Barbara Strozzi (1583-1643). L’un des sommets expressifs de cette prestation émane de « Amanti se brama te » de Luigi Rossi (1597-1653).
La virtuosité et la musicalité des musiciens s’expriment autant dans le soutien à la voix (plus qu’un simple accompagnement) que dans les magnifiques pièces instrumentales qui balisent ce programme. La belle « Sonata XVI » de Dario Castello (1602-1631) en est un exemple frappant, comme ce splendide duo entre le violon et le violoncelle, admirablement soutenu par le continuo de l’orgue, dans la « Canzon per soprano e basso » de Bartolome di Selma y Salaverde (1595-1638), ou encore la riche harmonie qui s’exprime dans la « Ciaccona » pour orgue seul de Bernardo Storace (1637/1707).
Le programme s’achève sur la pièce de Tarquinio Merula (1595-1665) « Su la cetra amorosa » qui lui donne son titre « La Lyre amoureuse ». Cette belle pièce illustre avec finesse les sentiments amoureux qu’Orphée exprime sur sa lyre au point d’émouvoir les animaux.
L’ovation du public est telle que les musiciens offrent non pas un mais deux bis. Changeant un peu de registre, ils interprètent la célèbre et si poétique aria da capo du britannique Henry Purcell « Music for a while ». Ils renouent enfin avec le madrigal emblématique de Claudio Monteverdi (1567-1643) « O rosetta, che rosetta », extrait des Scherzi musicali de 1607. Une belle conclusion qui vaut aux interprètes une ovation debout amplement méritée !