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Alexandre Tharaud : Beethoven en perspective

Le 39ème festival international Piano aux Jacobins poursuit sa cohabitation amicale entre artistes consacrés et jeunes pousses du clavier en émergence. Avec Alexandre Tharaud, il s’agit de retrouver l’un des indiscutables musiciens de la première catégorie. Le pianiste mène sa carrière avec intelligence et sensibilité. Sans éclat superfétatoire, il visite les contrées musicales qui l’inspirent et nourrissent son parcours d’artiste. Il n’hésite pas à franchir allègrement les siècles, ni à imaginer des parcours très personnels. Ce 12 septembre dernier, il replaçait Beethoven dans un contexte à la fois historique et affectif avec conviction et engagement.
Sous ses allures d’adolescent, Alexandre Tharaud témoigne d’un accomplissement artistique impressionnant. Ainsi, le programme de son récital du 12 septembre semble obéir à une logique musicale à la fois réfléchie et originale. L’épine dorsale, le fil rouge de cette soirée repose à l’évidence sur les deux sonates de Beethoven opus 109 et opus 111 qui concluent chaque partie de soirée. Deux partitions de la dernière période créatrice du compositeur.

Fort habilement, l’interprète fait précéder l’opus 109 d’une série de six pièces de clavecin extraites des quatre livres composés par François Couperin et qui paraissent entre 1713 et 1730. Il y manifeste une alacrité, une imagination et une admirable diversité des phrasés. Son toucher, d’une clarté, d’une transparence implacables, permet de souligner l’essentiel de chaque pièce. Ainsi, l’ironie se glisse sous les notes de « Les calotins et les calotines ». Une sorte d’obsession rythmique balise la « Passacaille », alors que la plus profonde et douce nostalgie imprègne l’émouvante « Les Ombres errantes ». Comme il se doit, le pianiste conclut cette séquence avec le très emblématique et stimulant « Tic-toc-choc ». Destinées à être joué sur un clavecin à deux claviers, ces pièces exigent de leur interprète une technique pointue pour pouvoir être exécutées, telles qu’elles sont écrites, sur un seul clavier. Alexandre Tharaud y fait merveille.

Alexandre Tharaud

La seconde partie du concert s’ouvre sur une œuvre située à l’opposé du spectre chronologique. Il s’agit des Variations opus 27 composées par Anton Webern entre octobre 1935 et septembre 1936. Bien installé dans le modernisme de l’atonalité et du dodécaphonisme, la bible de cette seconde Ecole de Vienne fondée par Arnold Schönberg, ce court triptyque est la seule œuvre pour piano solo publiée par Webern. Son langage explore tous les contrastes possibles du clavier. Alexandre Tharaud l’assimile avec une aisance incroyable. A l’étrangeté mélodique, éclatée sur toute la largeur du clavier, correspond une incroyable diversité rythmique que l’interprète souligne tout autant que sa dynamique. La conclusion de l’œuvre, fondue dans un silence impressionnant fait écho aux finals des deux sonates de Beethoven.

De ces deux chefs-d’œuvre de tout le répertoire pour piano solo, Alexandre Tharaud livre ce soir-là une vision volcanique, rugueuse, engagée. Le lyrisme des premiers arpèges de la Sonate n° 30 opus 109 cède vite la place aux accents de révolte. Sous les doigts du pianiste, le Prestissimo retentit comme un cri de rage, jusqu’aux derniers accords, comme désespérés. Tout le final, Andante molto cantabile ed espressivo, se construit comme une méditation d’une noirceur absolue qui conduit peu à peu vers le néant. Là aussi, le silence prolonge ce final comme s’il s’agissait d’une ultime variation. L’émotion est palpable.

Enfin, toute la Sonate n° 32 opus 111, qualifiée souvent d’« Adieu au piano »,dernier recours de Beethoven à son instrument favori, prend ici des accents de tragédie intime. Les premiers accords du Maestoso donnent le ton. La violence qui s’y manifeste n’est en rien atténuée par l’interprète qui fait sienne la révolte si justifiée du compositeur contre un destin d’une terrible cruauté. Est-ce la surdité totale qui affecte alors Beethoven qui peut générer un tel déferlement de douleur ? La sublime Arietta qui conclut cette œuvre ultime résonne là comme un adieu au monde. Alexandre Tharaud la conduit avec la conviction d’une marche implacable, avec ses plages de doute, ses élans irrépressibles, ses appels désespérés. Il en souligne avec conviction l’impressionnante modernité du langage. Ainsi l’étonnante variation qui semble adopter un rythme de jazz, et qui souvent surprend, ne se détache pas vraiment de l’ensemble des variations, toutes d’une originalité stupéfiante. Et puis enfin, là aussi l’apaisement que semblent apporter les derniers accords évoque davantage une profonde résignation. Un nouveau prolongement de la musique par le silence, aussi bien respecté par le pianiste que par le public, conclut ce programme sur un recueillement bienvenu.

Néanmoins, l’accueil chaleureux ramène Alexandre Tharaud sur scène avec un bis qui apporte la détente nécessaire après une telle accumulation de tension. La soirée s’achève donc sur la grâce d’une Valse de Chopin…

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